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positive, de la cosmologie comme de la psychologie, n’est ni moins réel ni moins important.


En résumé, les bases positives de la morale, dont nous avons voulu nous occuper exclusivement avec MM. Spencer et Darwin, sont de deux sortes : d’abord les inclinations, égoïstes ou altruistes, puis les idées scientifiques, qui expriment les conditions du bonheur pour l’individu ou pour la société. En un mot, instinct et science sont les deux grands facteurs de l’évolution morale. Le naturalisme a insisté principalement sur la force de l’instinct ; l’idéalisme doit insister de préférence sur la force des idées et montrer dans la science même une puissance qui tend à dominer le monde. Ces deux points de vue, loin de s’exclure, s’appellent et se complètent ; ils sont également nécessaires à une morale vraiment positive, qui tient compte de tous les faits, y compris ces faits importans qu’on nomme les idées humaines. Resterait à savoir si les inclinations et les idées scientifiques, « données » de la psychologie et de la cosmologie, épuisent tout le contenu de la morale. Supposez que la science positive aboutisse elle-même à démontrer qu’il y a un dernier problème qu’elle ne peut résoudre et que cependant la pratique doit résoudre, et que ce soit précisément le problème moral ; il faudra bien dire alors que ce n’est plus la science positive qui se réalise elle-même dans les actes moraux les plus élevés : au point où cesseront les idées démontrables ou vérifiables, au point où cessera la science proprement dite, psychologique ou cosmologique, il faudra bien faire intervenir l’hypothèse métaphysique, rejetée par MM. Darwin et Spencer. Il faudra reconnaître ce que nous avons plus haut laissé entrevoir : que la métaphysique, avec ses conjectures sur l’univers, est au fond de la morale et que, malgré ses obscurités, malgré ses doutes, elle se réalise elle-même dans les actions de l’homme comme une spéculation sur l’inconnu dont l’obscurité augmente la sublimité. Nous aurons à mieux préciser dans d’autres études ce point, négligé par l’école anglaise, où la morale, l’art et la métaphysique ne font plus qu’un. La doctrine de l’évolution fait profession de s’en tenir, comme dit M. Spencer, aux « bases positives de la morale, » malgré les problèmes de toute sorte sur les destinées de l’individu, de la société, du monde, au bord desquels elle amène et laisse l’esprit. Nous essaierons de déterminer un jour, en étudiant les écoles contemporaines de France et d’Allemagne, quels sont les « fondemens métaphysiques » de la science des mœurs.


ALFRED FOUILLEE