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de Dieu et surtout de la science, le perfectionnement moral de notre espèce.

Ce progrès ira si loin qu’il n’aura d’autre terme que la perfection même de la race. L’individu et la société, dit M. Spencer, deviendront parfaits et parfaitement adaptés l’un à l’autre ; l’homme sera vraiment un jour l’animal social et politique dont parlait Aristote, et par cela même il sera devenu naturellement moral. Telles sont les perspectives presque infinies que la doctrine de l’évolution ouvre à nos espérances. Les esprits timides peuvent seuls, selon l’école anglaise, s’alarmer de voir l’idée d’évolution pénétrer dans la science des mœurs comme dans les autres sciences. Si cette idée est féconde en conséquences importantes, si elle a sa beauté, sa grandeur et sa vérité, pourquoi la craindre[1] ? Toute nouvelle idée morale ou religieuse qui monte à l’horizon apparaît d’abord grossie, étrange, inquiétante ; elle est comme l’astre à son lever, qui, lorsqu’il est près de la terre, semble énorme et répand une lueur d’incendie, mais qui, parvenu à son zénith, illumine et féconde tout de sa clarté.


II

La vraie méthode scientifique consiste à juger une doctrine d’après ses principes, en examinant s’ils sont vrais ou faux, et non à la condamner d’avance par de prétendues conséquences immorales ou antisociales. Nous ne nous arrêterons donc pas à certaines objections superficielles contre la théorie de l’évolution, qu’on a voulu tirer de ses conséquences pratiques. On a cru voir, par exemple, une immoralité dans l’opinion même qui fait descendre l’homme d’un animal voisin de l’espèce simienne ; et récemment encore Virchow prêtait l’appui de son nom à cette objection banale. Mais la science des mœurs ne dépend pas des questions d’origine, elle s’appuie sur notre nature actuelle et sur la fin idéale que nous nous proposons à nous-mêmes[2]. Si nous possédons aujourd’hui une dignité morale, peu importe après tout que nous soyons descendus d’un singe perfectionné ou d’un « Adam dégénéré. » Dans le premier cas, nous avons devant nous les perspectives d’un progrès qui, ayant déjà produit des transformations si importantes, pourra en produire de plus merveilleuses encore ; dans le second cas, nous

  1. Voir la Morale anglaise contemporaine, par M. M. Guyau, préface.
  2. « La vraie question, en effet, n’est pas de savoir comment a été produite l’espèce humaine ; la chose qu’il importe de connaître, c’est ce qu’est l’homme et surtout ce qu’il doit être. Nous, moralistes, nous n’avons pas besoin de nous enquérir d’où viennent les hommes ; cherchons, avant tout, où ils vont : occupons-nous moins de leur passé que de leur avenir. » M. Guyau, la Morale anglaise contemporaine, p. 374.