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qui appartiennent au même parti ne doit pas nous surprendre et peut s’expliquer sans trop de peine. Si l’on a porté sur Julien des jugemens opposés, c’est qu’en réalité son œuvre était double : il voulait détruire une religion et en fonder un autre ; selon qu’on est plus frappé de l’un ou de l’autre de ces deux desseins, l’idée qu’on a de lui change et on lui devient favorable ou contraire.

Au siècle dernier, on n’apercevait qu’un des côtés de son œuvre ; on ne voyait en lui que le prince qui avait combattu le christianisme : c’était donc un allié auquel on était heureux de tendre la main à travers les siècles. On avait recueilli dans ses ouvrages quelques belles paroles de tolérance qu’on citait avec admiration, et l’on se plaisait à tracer de lui les portraits les plus séduisans. C’étaient, par malheur, des portraits de fantaisie, où l’on exagérait les qualités, où l’on dissimulait les défauts. A dire le vrai, il n’y a, chez Julien, que le soldat qui mérite des éloges sans réserve. Ces belles campagnes de l’armée des Gaules, cette bataille de Strasbourg, si hardiment engagée, si féconde en résultats heureux, causèrent partout une surprise et un enthousiasme dont le souvenir a longtemps duré. Plus tard, quand les armes romaines ne furent plus victorieuses, quand les barbares ravagèrent l’empire sans qu’on pût les arrêter, on songea souvent avec regret à ce jeune prince qui les avait si vivement rejetés au-delà du Rhin. C’est alors que le poète Prudence, un chrétien zélé, mais un bon patriote, disait de lui ce beau mot : « S’il a trahi son Dieu, au moins il n’a pas trahi sa patrie ! »

Perfidus illo Deo, sed non et perfidus urbi !

Mais ce n’était pas le soldat qu’admiraient surtout les philosophes du XVIIIe siècle, c’était l’ennemi du christianisme. En le voyant animé contre les chrétiens des passions qu’ils éprouvaient eux-mêmes, ils se le figuraient semblable à eux dans tout le reste. Ils étaient tentés d’en faire un incrédule, un sceptique comme eux, un