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qu’on envahit de riches maisons chrétiennes sous prétexte d’y aller chercher le trésor des temples qui ne s’y trouvait pas et qu’on les mit au pillage, « Prenez garde, disait le sage rhéteur à ses amis, de mériter vous-même le reproche que vous adressez aux autres. Les dieux ne ressemblent pas à de cruels usuriers : si on leur restitue ce qui leur appartient, ils ne réclament pas davantage. » Mais ces conseils de modération n’avaient alors aucune chance d’être écoulés. Partout les esprits étaient émus, les haines ravivées. Dans les villes qui se partageaient entre les deux religions, la population païenne, qui se sentait soutenue, se jeta sur les chrétiens. Les gens qu’on accusait de s’être signalés par leur zèle contre l’ancien culte furent poursuivis, battus, jetés en prison, quelquefois déchirés par la foule. Les écrivains ecclésiastiques ont raconté longuement toutes ces vengeances, et M. Rode pense qu’en général ils ont dit la vérité. Julien lui-même se plaint qu’en certains endroits on soit allé trop loin. « Le zèle de mes amis, dit-il, s’est déchaîné sur les impies plus que ne le souhaitait ma volonté. » Sur un mot imprudent qu’on rapporta de l’évêque Georges, la populace d’Alexandrie, la plus indisciplinée de toutes celles qui peuplaient les grandes villes de l’empire, massacra l’évêque et deux de ses amis. Julien blâma cette exécution, mais il n’osa pas la punir. Il écrivit une lettre fort singulière aux Alexandrins, dans laquelle il déclarait qu’après tout Georges méritait son sort, que l’indignation du peuple était naturelle, et que, « comme il ne voulait pas guérir un mal violent par un remède plus violent encore, » il se contentait de leur envoyer quelques reproches et quelques conseils. Les chrétiens ne s’en seraient pas tirés à si bon compte. Le sang a donc coulé sous le règne de ce prince qui faisait profession d’être tolérant ; tout ce qu’on peut dire pour le défendre, c’est qu’il n’a pas coulé par son ordre. Il est coupable sans doute de n’avoir pas assez fait pour prévenir ou pour venger ces violences, mais au moins est-il sûr qu’il ne les avait pas commandées.

Ce qui lui appartient tout à fait, ce qui est véritablement son œuvre, c’est le fameux édit par lequel il défendait aux rhéteurs aux grammairiens et aux sophistes chrétiens d’enseigner dans les écoles. Il est aisé de voir quels motifs le décidèrent à prendre cette mesure grave. C’était l’éducation qui l’avait ramené au paganisme, et il comptait bien qu’elle aurait sur les autres la même influence que sur lui. « Le chrétien, disait-il, qui touche aux sciences des Grecs, n’eût-il qu’une lueur de bon naturel, sent aussitôt du dégoût pour ses doctrines impies. » L’admiration qu’il éprouvait pour Homère et pour Platon lui faisait croire qu’on ne pouvait pas les lire sans partager les croyances qui les avaient si bien inspirés. Mais pour que cet enseignement produisît tout son effet, il ne