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monde, s’étaient bien vite aperçus que le bienfait de Julien cachait un piège et qu’en ayant l’air de les servir, il travaillait contre eux. S’il avait fait revenir les proscrits, c’était uniquement dans la pensée que leur retour ranimerait les querelles théologiques. « Il savait, nous dit Ammien Marcellin, que les chrétiens étaient pires que des bêtes féroces, quand ils disputaient entre eux, » et il comptait qu’affaiblis par leurs luttes intérieures, ils lui opposeraient moins de résistance. C’était sa tactique de diviser ses ennemis pour les vaincre. En même temps qu’il essayait d’exciter les diverses sectes les unes contre les autres, dans les mêmes églises il voulait séparer les fidèles de leurs chefs. Toutes les fois qu’il se produisait dans une ville chrétienne quelque émotion populaire, il affectait d’en rejeter la faute sur le clergé. Les coupables, pour lui, c’étaient toujours les prêtres, « qui ne pouvaient se consoler qu’on leur eût ôté le pouvoir de nuire. » Un jour l’évêque de Bostra et ses clercs, qu’il accusait d’avoir fomenté quelque révolte, lui adressèrent une lettre dans laquelle on lisait ces mots : « Quoique les chrétiens soient chez nous en nombre égal à celui des Hellènes, nos exhortations les ont empêchés de commettre le plus léger excès. » Julien s’empressa de renvoyer la lettre aux habitans avec un commentaire perfide, où il dénaturait les intentions de l’évêque. « Vous voyez, leur disait-il, que ce n’est pas à votre bon vouloir qu’il attribue votre modération ; il dit que c’est malgré vous que vous êtes restés tranquilles et que vous n’avez été contenus que par ses exhortations. Chassez-le donc de votre ville sans hésiter comme étant votre accusateur. » La mauvaise foi de Julien est ici manifeste. Il est pourtant probable que ses excitations furent écoutées, puisque Libanius nous apprend que de graves désordres, dus à des motifs religieux, troublèrent alors la tranquillité de Bostra.

Il avait d’autres moyens encore d’atteindre les chrétiens et de leur nuire. Le décret qui rendait à leurs anciens possesseurs tous les biens confisqués sous prétexte de religion s’appliquait à tout le monde, et les païens devaient en profiter comme les autres. Sous les derniers règnes, un grand nombre de temples avaient été dépouillés de leurs richesses ; on avait pris les terres qui leur appartenaient, et souvent on s’était approprié sans façon le temple lui-même pour le faire servir à des usages profanes. Julien ordonna que tout serait restitué. C’était une loi juste, mais dont l’exécution présentait beaucoup de dangers. Comme les faits remontaient quelquefois assez haut et qu’il n’était pas facile, après un long temps, de retrouver les vrais coupables, la porte était ouverte à toutes les délations ; on pouvait toujours perdre un ennemi en l’accusant d’avoir pris sa part des biens sacrés. Les lettres de Libanius prouvent que beaucoup d’excès furent commis à cette occasion,