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guerre des athées contre le temple, la ruine, l’incendie, les autels insultés, les supplians punis et n’osant plus demander la guérison de leurs maux. Vous forcez la conviction par vos argumens, vous charmez par votre style, et la longueur même du discours est une beauté de plus, car elle répond à la gravité des circonstances. » Cette prédication devait se proposer d’enseigner au peuple la nature vraie des dieux, le sens caché des mythes et les leçons morales qu’on en peut tirer. Il est probable aussi que la vie future y tenait une grande place, comme dans celle des chrétiens : Julien en était fort préoccupé, et c’est par des pensées d’immortalité que se termine son discours sur le Roi-Soleil et celui sur la Mère des dieux. Quand on le ramena mortellement blessé dans sa tente, son dernier souci fut pour un de ses officiers, Anatolius, qu’il aimait tendrement et qui venait de périr dans la mêlée. Julien s’étant enquis de son sort, on lui répondit « qu’il avait été heureux, beatum fuisse ; » il comprit qu’on voulait lui dire qu’il n’était plus et oublia son propre sort pour gémir sur celui de son ami ; puis, comme il voyait que tout le monde pleurait autour de lui, il blâma cette faiblesse, « disant qu’il n’était pas convenable de pleurer un prince qui était près de monter au ciel[1]. Il est donc mort avec la certitude absolue qu’il allait recevoir dans une autre vie la récompense de ses travaux, et que les dieux qu’il avait servis et honorés lui réservaient « un séjour éternel dans leur sein. » Nous sommes loin, comme on voit, des espérances timides que Platon exprime à la fin du Phédon. Aussi n’est-ce pas sur la doctrine des philosophes que Julien prétend s’appuyer pour être sûr que tout ne périt pas avec la vie. « Les hommes, dit-il, sont réduits sur ce sujet à des conjectures ; mais les dieux en ont une connaissance complète, » et ce sont les dieux, qui, en se communiquant à lui, lui ont révélé la vérité.

Un enseignement religieux suppose un clergé instruit et capable de le donner ; or il n’existait pas de clergé véritable, au sens où l’entend le christianisme gang les religions antiques. Les prêtres y étaient en général des magistrats ordinaires, nommés comme les ; autres, et l’on n’exigeait d’eux pour leur confier ces graves fonctions, ni éducation préalable ni dispositions particulières. Cette façon de recruter les sacerdoces de citoyens qui restaient citoyens et ne prenaient pas un esprit différent avec leurs fonctions nouvelles, avait eu certainement quelques avantages : les anciennes religions lui doivent de n’être jamais devenues des théocraties étroites et

  1. Le fameux mot qu’on lui prête à ses derniers moments : « Galiléen, ta as vaincu ! » se trouve pour la première fois dans Théodoret, qui écrivait près d’un siècle après les événemens qu’il raconte. Il est contraire à tout ce que nous dit Ammien Marcellin, qui fut témoin de la mort de Julien, et n’a aucune authenticité.