Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/964

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sait gré à l’auteur de rapprocher et de réunir des estampes du même temps où se voit traité un même motif, agréable et bien choisi. A côté de deux estampes avec encadremens à fond noir qui représentent Savonarole écrivant dans sa cellule, il place, d’après d’autres ouvrages, d’autres bois élégans : Saint Antonin composant son opuscule sur la confession, Cristoforo Landino enseignant les belles-lettres, et même Boccace écrivant son Décaméron. Par suite de la même méthode, en face d’une estampe qui a pour sujet Savonarole prêchant dans la cathédrale de Florence, il reproduit une petite gravure qu’il intitule : le Frère Cipolla prêchant. Toutes ces œuvres sont charmantes, il est vrai, et reflètent également cette vive élégance, cette distinction suprême qui caractérisent alors l’école florentine, dans la gravure comme dans les autres arts du dessin. On est seulement un peu étonné de voir figurer en si grave compagnie, — entre Savonarole et saint Antonin, archevêque de Florence, — un joyeux compère tel que le rusé Cipolla du Décaméron de Boccace. M. Gruyer a bien eu ses raisons pour ne pas insister dans son texte sur cette spirituelle image, dont l’habile dessinateur a si bien résumé, dans un cadre de quelques centimètres, tout l’amusant récit du conteur italien. C’était de pareilles illustrations, — et naturellement de pires encore, car celle-ci est assez innocente, — que devaient être ornés les exemplaires de Boccace que Savonarole a fait livrer au feu.

Après tout, c’était une page de l’histoire de l’art italien qu’on voulait nous donner tout autant qu’une page d’histoire religieuse ou morale, et cette entreprise, heureusement conçue, a été heureusement conduite. La connaissance de ces rares gravures, rendue plus facile et plus familière, fera d’une part mieux comprendre quelle sorte de domination l’éloquence de Savonarole a exercée sur les Florentins et quelle était la situation intellectuelle de cette société; elle encouragera d’autre part l’étude, si attrayante par elle-même, des premiers temps de la gravure, d’un art si délicat et si austère, si digne de sympathie et de respect, qui venait de trouver ses procédés spéciaux et qui était donc, par plusieurs motifs, au temps de Savonarole, en possession d’un charme particulier de naïve et sincère jeunesse.


A. G.


Le directeur-gérant, C. Buloz.