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ESSAIS ET NOTICES.
Les Illustrations des écrits de Jérôme Savonarole, publiés en Italie au XVe et au XVIe siècle, par Gustave Gruyer (avec 33 gravures, par A. Pilinski), 1 vol. in-4o; Didot.


Depuis l’excellente publication de M. Pasquale Villari, qui a placé son auteur au premier rang des historiens de l’Italie contemporaine, et depuis le livre de M. Perrens, les documens nouveaux sur Savonarole se sont accumulés. Tout récemment, dans le célèbre recueil de Florence, l’Archivio storico, M. Antonio Cosci enregistrait les élémens qui s’ajoutaient ainsi à nos connaissances acquises; en France même, il y a quelques mois, paraissait une importante Étude sur Jérôme Savonarole, par le R. P. Ceslas Bayonne. A mesure que l’enquête devenait plus exacte et plus complète, l’esprit équitable de notre siècle révisait les jugemens précipités ou passionnés des temps antérieurs sur l’éloquent dominicain. Savonarole n’a pas été, à vrai dire, un grand esprit; il est impossible de le placer au nombre de ces grands hommes qui prennent en main tout un état social pour le régénérer et le transformer. Il a eu des hardiesses incohérentes et non soutenues; sa faible politique n’aurait pas avancé les affaires de l’Italie; son appel à un concile suscitait dans le sein de l’église des nouveautés dont il était prêt à s’effrayer tout le premier. Mais ce fut un grand caractère et un grand cœur. Il vit mieux que ses contemporains le profond trouble moral dont souffrait son siècle, et il tenta de sauver l’église et l’Italie en se sacrifiant volontiers lui-même. Il puisa cet amour des hommes dans une foi ardente et sincère qu’une belle âme pouvait seule concevoir. Son éloquence fit des prodiges parce qu’elle traduisait en traits de flamme sa chaleur de cœur, sa soif de justice, son élan de charité. Aussi la profonde impression qu’il produisit sur les plus éminens de ses contemporains nous est attestée par d’éclatans témoignages. Guichardin, qui l’avait entendu pendant sa jeunesse, en fut touché pour la vie et se rappela toujours avec respect cet homme de Dieu. Pic de la Mirandole, Politien et Marsile Ficin parmi les lettrés, mais surtout, parmi les artistes, Botticelli, Lorenzo di Credi, fra Bartolomeo, Simone Cronaca, les Delta Robbia, Giovanni delle Corniole, Michel-Ange et sans doute aussi Raphaël, lui rendirent hommage, quelques-uns d’entre eux par le plus affectueux et le plus entier dévoûment. Il n’est pas téméraire de reconnaître son influence dans les puissantes œuvres d’un fra Bartolomeo, dans l’inspiration pure et élevée d’un Botticelli. A ses religieux du couvent de Saint-Marc il imposait de cultiver la sculpture, la peinture et l’architecture, et il alla jusqu’à s’endetter pour conserver les