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légiférer. Il a parlé de tout ce qui ne le regardait pas ; il a proposé d’établir ou de développer l’impôt progressif sur les loyers. Il a discuté l’impôt sur le revenu, l’impôt sur le capital, et il a fini par voter, exactement comme s’il en avait le droit, une taxe de 2 pour 1000 sur les « terrains bâtis ou à bàiir. » Voilà qui est entendu ! Faites cependant une simple hypothèse ; supposez un instant que les conseils municipaux des principales villes de France, de Bordeaux, de Lyon, de Marseille, de Toulouse, de Lille, suivent cet exemple, et que chacun d’eux, dans son indépendance communale, vote des impôts différens : qu’arriverait-il ? L’unité législative de la France disparaîtrait dans la confusion, et l’unité nationale elle-même serait bientôt menacée. Est-ce qu’on appellerait encore cela une réforme ?

Que le conseil municipal de Paris soit en cela sorti de son rôle et de ses attributions, comme il le fait si souvent quand il se donne le droit de toucher à tout indifféremment, à la police, à l’enseignement ou aux beaux-arts, cela n’est pas douteux. Le malheur est que le conseil municipal de Paris ne fait, après tout, que ce qu’on lui laisse faire, qu’il n’a que l’importance qu’on lui laisse prendre, et que ses actes, ses manifestations, ses prétentions, sont justement un des signes ou un des élémens d’une situation dont le caractère trop sensible est l’absence de toute autorité directrice et régulatrice, tout ce qui arrive aujourd’hui, les confusions de pouvoirs, les déréglemens d’activité parlementaire, les conflits en perspective et les inquiétudes ou les incertitudes d’opinion qui en résultent, tout cela n’existerait pas ou aurait moins de gravité s’il y avait un gouvernement aux idées nettes, à la volonté précise, alliant l’esprit de conduite à une libérale fermeté. Le gouvernement, où est-il donc aujourd’hui ? quelle est son orientation politique dans ce mouvement confus des choses qui se produit autour de lui ? quelle est la mesure de son influence et de sa force ? On ne le voit vraiment pas d’une manière bien distincte. Le ministère, au lieu d’acquérir de l’autorité et du crédit, est visiblement moins assuré qu’il ne l’était il y a quelque temps et reste à la merci des incidens. Il semble n’avoir d’autre politique que de mener la vie de chaque jour, d’éluder le plus qu’il peut, de faire comme un apprentissage perpétuel d’effacement et de soumission. M. le ministre de l’instruction publique, qui vient de présider la première session de son nouveau conseil supérieur, n’échappait récemment à un conflit avec la commission parlementaire d’enseignement qu’en acceptant ce qu’il avait voulu d’abord ajourner, en se laissant imposer une question qui ne sera pas facile à résoudre. M. le garde des sceaux, à son tour, ne désarme sa commission de réforme judiciaire qu’en lui faisant le généreux sacrifice de ses propres opinions, en lui livrant l’indépendance de la magistrature, M. le président du conseil lui-même, après avoir protesté de sa modération, est arrivé à ces