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des qualités moyennes de confection et de clarté, nous le voulons bien, mais peu d’originalité en somme au fond de cet individualisme, beaucoup de travail et cependant une indifférence croissante, et par-dessus tout l’envahissement graduel d’un naturalisme toujours plus despotique.

Ces grands cris, ces élans de passion ou ces aspirations austères vers l’idéal, qui avaient fait l’honneur de l’art aux approches de 1830, tout cela s’est bien calmé. On avait poursuivi trop de chimères; on est las des aventures généreuses et des duperies du sentiment ; on ne veut plus de déceptions. On ' se méfie des clartés matinales de l’aube ou des pompes éclatantes du couchant: leurs colorations faussent les objets et ramènent ces mirages dangereux qui trop souvent nous ont séduits. C’est sous la lumière froide et nette du plein jour qu’on tient à nous représenter les objets tels qu’ils sont, à détailler leurs particularités même les moins plaisantes, sans nous épargner leurs laideurs. La peinture a pris les exigences de la science et, tandis que celle-ci, à force de reculer ses horizons, arrivait à la poésie, l’art, par une voie inverse, semble vouloir s’en passer. Il devient avant tout très positif. Ça et là quelques figures plus hautes se détachent désormais sur un fond trop uni, qui s’efforcent avec courage, en résistant à ce courant, de nous parler encore des choses du sentiment, de nous montrer que l’imitation n’est pas un but auquel il faille s’arrêter et qu’entrer ainsi en lutte avec la nature, sur ce terrain, c’est accepter d’avance la défaite. Ils ont compris ceux-là qu’il ne suffit pas de bons yeux ni d’une main habile, — quel qu’en soit d’ailleurs le prix, — pour faire œuvre qui dure. Ce peu de matière qu’il faut pour créer un livre, une statue, un tableau, ne vit, ne défie le temps que par ce qu’un homme y a mis de lui-même, de sa pensée, de son être. De tels artistes il en est encore, grâce à Dieu, qui aiment ce qu’ils font et se donnent tout entiers à cette noble profession qui est à la fois leur passion et leur tourment. Nous nous sommes complu à relever chez eux cet accord de la sincérité et du talent dont la recherche nous a guidé dans notre étude. A côté d’eux, et c’est sur cette perspective plus consolante que nous voulons finir, ce Salon du moins nous aura aussi révélé des efforts nouveaux, des noms qui peuvent à leur tour devenir célèbres et soutenir dignement la gloire de notre école. Il appartient à ces jeunes gens de nous montrer ce que valaient nos espérances.


EM. MICHEL.