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et depuis le temps où, à la suite de son voyage en Sicile, Hittorff en rapportait les premières indications, plus de cinquante ans se sont écoulés. L’attention étant éveillée, il fallut dès lors étudier ce genre de décoration, reconnaître qu’il avait eu une place dans l’art des anciens et que, pour les temples de Sicile, pour le grand temple de Sélinonte en particulier, la polychromie, qui y avait été dûment constatée, était du reste assez motivée, puisqu’il s’agissait là de temple de pierre appartenant à une époque assez archaïque. Pour les temples de l’Asie-Mineure, d’ordre ionique, il est vrai, les colorations, on l’a reconnu, sont des plus minimes, et M. O. Rayet, qui les a observées de près et avec le plus grand soin, n’a pu les retrouver qu’au fond des moulures, sur l’entablement, dans les chapiteaux, et jamais, ni à Éphèse, ni à Priène, ni à Didyme, sur des parties plates, sauf le fond des caissons à l’intérieur. Quant au Parthénon lui-même et aux monumens doriques de la belle époque, les traces de coloration avérées se réduisent, croyons-nous, à moins encore, et celles qu’on a pu constater se bornent aux triglyphes, aux dessous du larmier, aux mutules, et aux intervalles qui les séparent. Intérieurement encore, des traits gravés figurant des ornemens (comme la double grecque représentée dans ces restaurations, par exemple) laissent entre eux des surfaces qui ont dû aussi être colorées ou dorées, et les différences de grenu ou de poli qu’on y remarque proviennent apparemment de la préservation plus ou moins grande que l’or ou la peinture ont opposée à la détérioration du marbre. Il y a loin de là aux débauches de couleur que nous montrent MM. Loviot et Paulin, et les hypothèses nous semblent abonder uni peu trop dans leurs restaurations. M. Lambert, bien connu par ses beaux travaux relatifs à la topographie de l’Acropole, s’y était montré plus réservé, et la mesure délicate dans laquelle il a tenu compte de la polychromie nous semble à la fois plus conforme à l’art et plus justifiée par les données de l’archéologie. MM. Loviot et Paulin ont peut-être un peu trop cédé ici à une tentation assez fréquente dans ces essais de restitution du passé : celle d’accumuler, en y ajoutant encore, sur un seul monument, les résultats de découvertes faites en divers lieux, sur des édifices appartenant à des époques différentes et construits avec d’autres matériaux. Il peut être naturel de cacher la pierre sous une décoration peinte qui, en même temps, la garantit contre les dégradations atmosphériques. Cette décoration paraît non-seulement sans objet, mais déplacée s’il s’agit d’une matière précieuse et résistante comme le marbre; elle choque toutes nos idées et notre goût, quand au lieu de se borner à accuser sobrement quelques détails d’ornementation et à leur donner plus de relief, elle envahit tout, et sans laisser à l’œil aucun repos,