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aspect sérieux, simple, élevé, l’œuvre a tout le caractère qu’elle pouvait avoir.

Un simple dessin attribué à Van Eyck et représentant Philippe de Bourgogne a suggéré à M. Guillaume la pensée d’une de ces restitutions historiques auxquelles il excelle, et qui lui ont déjà inspiré plusieurs chefs-d’œuvre : les Gracques, le Mariage romain, et cette remarquable série des portraits de Napoléon Ier. dans lesquels, en s’attachant à suivre un même type à travers toute l’existence, l’artiste a su exprimer à la fois les modifications successives de l’âge et le jugement que comportait chacune des acceptions qu’il avait choisies, étude intéressante, d’un ordre tout à fait intime, et qui suppose, avec une perspicacité singulière, une rare souplesse d’exécution. Par ce double caractère de ressemblance naturelle et d’interprétation morale d’un homme et d’une époque, le Philippe le Bon est une œuvre de grand style et de forte réalité. Cette figure anguleuse et sèche, le malin sourire qu’on surprend sur ses lèvres, son regard méditatif, et jusqu’à ce missel que tient sa main nerveuse et ce collier de la Toison d’or qu’il porte à son cou, tout s’accorde ici pour nous montrer la fidèle image du politique habile, du protecteur des arts et des lettres, du chef de cette petite cour de Bourgogne qui a tenu une si grande place dans l’histoire et qui, soit dit en passant, mériterait d’être étudiée de plus près par ceux qui s’intéressent aux origines de notre art moderne. En attendant les travaux des érudits, le prince qui autrefois a donné à la Bourgogne une si haute illustration aura du moins reçu, dans cette œuvre accomplie, un digne hommage de l’artiste et du lettré qui est son compatriote.

Le Rabelais de M. Dumaige, destiné à la ville de Tours, est une statue bien conçue et drapée avec ampleur. La pose est naturelle et convient à cet attentif observateur de la vie humaine. L’expression narquoise du regard et de la bouche répond bien aussi à l’inscription placée sur le piédestal, mais que peut-être on aurait pu mieux choisir si on voulait résumer le caractère du personnage. Il y a plus que du rire chez Rabelais, et ce n’était pas seulement pour le vain plaisir du dénigrement que sa verve s’exerçait sur les travers de son temps. Rabelais voyait au-delà de son époque; il avait des idées très personnelles, et sur bien des points, il était en avant de son siècle par cette bonne santé et cette vigueur de pensée dont nous voudrions retrouver mieux la trace sur son visage. Comme Rabelais, Bernard Palissy appartient à la renaissance, et, comme Rabelais aussi il fut un précurseur ; mais le rire ne trouva guère place dans sa vie austère et vaillante. M. Barrias nous a rendu avec un grand charme d’expression cette figure pensive, ardente, ce front intelligent, ces yeux brûlés au feu des fours, ce visage amaigri par les privations