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groupés autour du personnage pour nous dire ses travaux, ses découvertes, et nous fixer sur son caractère? Entre la charge et l’énigme, la mesure est délicate, et quand on songe aux difficultés du problème, on se dit qu’on n’admire pas assez les œuvres où il a été résolu dans des conditions vraiment plastiques. Cette mesure, nous la trouvons réalisée une fois de plus par M. Chapu dans la statue de Leverrier. L’illustre astronome, debout, vêtu de l’uniforme de l’Institut par-dessus lequel flotte un vêtement plus pittoresque, tient d’une main une feuille couverte de calculs et montre de l’autre sur la sphère céleste la planète dont ses rigoureuses déductions lui ont révélé la place. Mais en même temps que l’artiste a spécifié ainsi d’une manière suffisante le fait particulier qui a illustré cette vie, il a voulu nous montrer sur le visage du savant la passion de la science elle-même. Il a donc maintenu sa tête droite, plutôt un peu haute, et dirigé son regard vers les espaces célestes en mettant sur tous ses traits l’expression d’une confiance absolue dans la certitude des résultats que son intelligence a découverts et que la réalité va confirmer. Le geste des mains se borne donc à une simple constatation ; c’est sur le visage que notre œil est appelé, et en conservant une unité parfaite, l’œuvre prend ainsi un caractère plus élevé. L’aspect serait excellent de partout, n’était une certaine confusion qui s’établit quand on regarde la statue presque de face, un peu à droite. La jambe gauche du personnage arrive alors à être entièrement masquée par la petite figure qui supporte la sphère céleste, sans que le regard ait conscience qu’il y ait là une largeur assez grande pour cacher cette jambe. La correction peut être complète, et nous croyons qu’elle l’est en effet, mais la vraisemblance n’est point suffisante, et les exigences de l’aspect dépassant en pareille matière l’exactitude absolue, la statue n’offre pas de ce point cette stabilité dont notre esprit, au moins autant que notre œil, réclame impérieusement la satisfaction.

Le Génie de l’immortalité, destiné à surmonter le tombeau de Jean Reynaud, n’est pas seulement une figure heureusement inventée, mais la conception même de M. Chapu répond au caractère intime du philosophe qui l’a inspirée, à cette nature passionnée qui, dans son incessante recherche de la vérité à travers l’infini du temps et de l’espace, s’efforçait de concilier la précision de la science avec le mysticisme le plus ardent. Cette figure, libre de ses entraves, qui repousse du pied la terre, et d’une allure si fière, prend son essor vers la lumière, cet élan de tout l’être, ces bras ouverts, ce visage radieux, tout ici répond à cette belle devise : Transitoriis quœre œterna, devise qui s’accorde si pleinement elle-même avec ce que nous savons d’une des âmes les plus actives et les plus sincères de notre époque. Le modelé ferme et souple procède par larges plans ;