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II.

Au sortir des innombrables salles consacrées à la peinture, on éprouve un soulagement bien excusable à retrouver disposées avec goût, parmi des gazons vrais et des fleurs qui sont naturelles, les œuvres de nos sculpteurs. Avec le repos des yeux et la satisfaction de se sentir dans une atmosphère plus sereine, on goûte auprès d’elles une sorte de fierté patriotique à constater la force et la supériorité de notre école. Le public le sait, et dans des conditions décisives il a pu se convaincre que, si chez d’autres peuples on arrivait à citer quelques individualités, nulle part ailleurs on ne rencontrerait un tel ensemble et une telle diversité de talens. Il s’est donc habitué à compter sur nos sculpteurs.

Il voit à leur tête des hommes dans la force de l’âge et la pleine maturité de la production, dont les œuvres sont justement célèbres et dont les mérites très différens sont si élevés que, dans son embarras à les classer, il se contente de les admirer. De jeunes émules qui, les pressent et parfois même des débutans qui se révèlent avec éclat lui montrent à côté d’un présent glorieux un avenir assuré. Aussi, lui qui autrefois passait indifférent, peu à peu il est devenu Respectueux ; bien plus, il a fini par s’intéresser à cet art austère. Il accepte ses limites étroites, et il reste étonné de ce que les plus forts peuvent y enfermer de puissance et de pensée. Il comprend par leur exemple ce que valent les labeurs prolongés et les recueillemens de ce noble métier, le désintéressement qu’il suppose, la dignité qu’il communique à la vie, et il ne trouve que juste de rendre en sympathie à nos sculpteurs ce qu’ils lui apportent d’efforts et de belles créations. Après ce premier flot, assez vite écoulé, de désœuvrés et de curieux qui, au débat, s’empressent surtout dans les salles de peinture, la sculpture a son tour, A distance, ses productions les plus saillantes persistent souvent seules dans le souvenir que laisse une exposition. C’est pour elles comme un avant-goût des immunités que le temps leur réserve, en regard des oublis et des détériorations parfois assez promptes qu’il inflige aux tableaux de nos peintres. Chaque année présente évidemment ses chances d’inégalité dans la richesse des Salons, et peut-être même serait-il possible de constater pour celle-ci comme un temps d’arrêt et d’hésitation chez nos sculpteurs. Mais il ne faudrait voir, tout au plus, dans ce fait, qu’une de ces intermittences inhérentes à tout ordre d’activité. Leur mérite, malgré tout, reste encore assez grand et, chez quelques-uns même, assez éclatant pour que