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son Retour du troupeau. Sous la pluie qui crève de toutes parts, ces pauvres bêtes qui cheminent lentement, résignées, passives, regardant vaguement devant elles, sont groupées, dessinées et peintes avec un rare talent, et la dégradation rapide des formes et des tons dans cette atmosphère humide est rendue avec une extrême justesse. Les deux Bœufs de M. Barillot sont plus heureux, et leur mine placide marque bien le contentement qu’ils éprouvent à se sentir libres, à se délasser de leur travail en stationnant immobiles dans une eau peu profonde. L’exécution large et facile gagnerait, croyons-nous, à être rehaussée de quelques accens un peu plus précis; mais les bêtes sont bien dessinées et les valeurs accusées largement dans une gamme claire et transparente.

Les fleurs ont aussi leur vie; on ne s’en doutait guère autrefois. Les Hollandais ou les Flamands, qui se sont spécialement appliqués à les peindre, ne nous en ont laissé que des images froides et sèches. Leurs contours découpés sur des fonds sombres, leurs ombres dures et leur exécution minutieuse et pénible provoquent une impression de tristesse. Peut-être pourriez-vous souhaiter, çà et là, dans l’Embarquement de fleurs de M. Jeannin un peu plus de précision dans la forme, mais du moins la facture intelligente et facile, la légèreté des ombres, la fraîcheur et l’éclat des lumières, l’apparent désordre et la richesse de cette moisson parfumée, tout vous rappelle ici le charme et les grâces de la réalité. Vous trouverez bien du talent aussi chez nos peintres de nature morte; chez M. Martin, par exemple, qui montre une exécution et un goût tout à fait remarquables dans son tableau ; Chez un orientaliste, un assemblage assez ingrat à rendre d’armes, d’aiguières, de coffrets et de bijoux. Dans le Cellier de Chardin, M. Delanoy a peint à la perfection des victuailles et des objets de ménage groupés autour de cette fontaine de cuivre rouge que le maître a si souvent reproduite, de sa touche onctueuse, caressante, avec cette affection naturelle qu’on a pour les vieux serviteurs. La fontaine de M. Delanoy a été étamée et fourbie à neuf; Chardin ne la reconnaîtrait plus, et peut-être conseillerait-il à M. Delanoy de se relâcher quelque peu de sa consciencieuse précision. C’est un conseil que nous ne donnerions pas à tout le monde, et M. Bergeret, lui, s’est un peu trop détendu. Dans son Régal des mouches, une vraie débauche de mouches en effet au milieu d’un gâchis de sirops et de jus, et un arrangement qui rappelle assez maladroitement les Confitures, de M. Ph. Rousseau, un des chefs-d’œuvre de ce maître peintre, qui, cette année, nous paraît un peu engourdi. Quant à M. Vollon, il ne s’est pas mis en frais de composition, et on ne saurait lui reprocher d’attacher trop d’importance au sujet. Une courge, une marmite de