Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/920

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ailleurs, elle est partout nuancée, vivante, nerveuse, pleine de mouvement et d’heureux contrastes ; et si vous voulez par un seul exemple en apprécier la dextérité, admirez avec quel abandon et de quel pinceau élégant et facile, M. Pelouse a tracé le lacis compliqué de tous les menus branchages des bouleaux qui entre-croisent sur le ciel leur léger réseau.

Nous aurions souhaité voir rapprochés les deux paysages qu’a exposés cette année M. H. Zuber. En se complétant l’un l’autre, ils auraient mieux montré la variété des aptitudes du peintre. Nous y voyons exprimée avec un égal talent, dans deux données très différentes, une même impression de calme et de poétique mélancolie. M. Zuber est presque un nouveau venu à nos Salons, mais il a marché d’un tel pas qu’il a déjà franchi toutes les étapes et que le voici maintenant tout à fait en tête, avec les meilleurs, avec les plus forts. Nous trouverions difficilement un exemple plus concluant à opposer à ceux qui s’imaginent qu’il faut, pour être remarqué à nos expositions, exagérer l’effort et frapper brutalement de grands coups. Pour attirer ceux qui aiment à la fois l’art et la nature, pour les retenir surtout, les singularités extérieures ne sont pas de mise. En voyant les œuvres de M. Zuber, on comprend tout de suite qu’il a quelque chose à vous dire et, sans qu’il vous arrête indiscrètement au passage, on va à lui, grâce à la séduction qu’exerce toujours la simplicité quand elle a ce charme et la sincérité lorsqu’elle s’exprime en si bon langage. Il est vrai que ces moyens-là ne sont pas à la portée de tous; ils expliquent du moins, et c’est là que nous voulions en venir, le succès qu’a si vite conquis M. Zuber. Le Flot à Massignieu nous montre un de ces réduits d’ombre et de fraîcheur dont il est dangereux le rêver en été lorsqu’on est retenu à la ville. De grands arbres qui se penchent au-dessus d’une eau tranquille dont le modeste cours, encombré de rochers moussus, va tout près se dérober dans l’obscurité d’un épais fourré; une solitude absolue, un silence délicieux, des feuillages immobiles, à peine un pli que, du bout de son aile, une hirondelle trace sur le miroir de l’eau, partout une impression de calme et de recueillement qui se dégage de la nature et vous attache à cette œuvre. Mais peut-être la poésie est-elle plus pénétrante dans le Souvenir de Menton, parce que la simplicité y est plus grande encore. En bout de plage, et, au bord de la mer, un berger debout, faisant halte au milieu de ses moutons qui sommeillent: c’est là tout le tableau. Mais la lumière répandue à travers l’espace inonde cette toile, non cette lumière écrasante dont on aime à nous aveugler aujourd’hui, qui dépouille sans pitié les objets de leur forme et les condamne à traîner derrière eux ces ombres d’un bleu