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dont il nous peignait l’an dernier l’abandon et la tristesse. Cette fois, c’est une impression de gaîté et de fraîcheur que nous apporte le Matin de M. Bernier. Le sujet du tableau, c’est un clair rayon de lumière qui commence à envahir un bois de hêtres et de charmes. L’image est si vivante que vous ne pouvez la croire immobile. Il semble que vous le voyiez, ce rayon, qui réveille la forêt et de sa lumière toujours croissante anime peu à peu ses profondeurs, donne aux formes leur saillie, met dans ces nuances prochaines l’infinie variété des demi-teintes, découpant ici des feuillages menus, caressant plus loin les troncs grisâtres, expirant mollement dans les gazons encore engourdis. C’est bien le soleil qui par grandes masses paraît lui-même composer sous nos yeux son œuvre, l’avancer par un travail à la fois inattendu et logique, l’achever enfin d’un jet plus éclatant mis au bon endroit. Cette progression de mouvement, cette vie qui renaît, le peintre vous en a donné l’illusion par le plus heureux des contrastes, en opposant vers le milieu de sa toile les plus vives et les plus brillantes colorations à l’ombre la plus froide et la plus tranquille : des buissons ensoleillés sur une rive, et en face, le bois encore silencieux, endormi dans une brume bleuâtre. A partir de ces deux points extrêmes, par des transitions insensibles l’écart des valeurs se rapproche de plus en plus à mesure qu’on s’éloigne du centre et se calme entièrement vers les bords. Par la disposition des lignes et la croissance des colorations votre regard est amené naturellement au point qu’a marqué l’artiste pour mettre l’intérêt et le principal charme de son œuvre, comme dans ces mélodies d’abord un peu incertaines et confuses dont le musicien a volontairement retardé l’éclosion jusqu’à ce que, vous jugeant suffisamment préparé, il les fasse s’épanouir et les développe dans toute leur pureté et leur grâce. Cette progression du flottant à l’arrêté, du sourd à l’éclat, M. Bernier l’a menée avec un talent extrême, animant cette grande toile d’un même souffle, y mettant avec un tact exquis les accens et les échos, mais ne s’écartant jamais du simple programme qui a fait sa force parce qu’il correspondait à une donnée de peintre, et qui lui a inspiré l’œuvre la plus accomplie qu’il ait encore produite.

M. Busson, lui aussi, est resté presque toujours fidèle aux mêmes horizons, mais le Vendômois qu’il a peint est sa vraie patrie. A la façon dont il nous en parle, vous comprenez que ce pays lui tient au cœur et qu’il y a entre l’artiste et cette nature les mille liens que créent les longues affections et les souvenirs de toute une vie. Les Hollandais nous ont montré ce que vaut cette fidélité, quelles récompenses l’attendent, et la pauvre nature qu’ils ont si cordialement reproduite les a payés au centuple de leur filiale constance.