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fait M. Français, on conçoit qu’il soit malaisé de fondre dans un ensemble des élémens aussi exacts, empruntés à des milieux très différens. On les rapproche sans toujours arriver à les unir et ce qu’ils ont retenu de leur origine leur laisse comme un étonnement de se trouver ensemble. Peut-être cette mince critique ne nous est-elle suggérée que par les végétations du premier plan du Soir, qui, toutes charmantes qu’elles sont, tendent par leurs dimensions un peu trop fortes à rapetisser la grandeur du paysage. Ces fouillis d’herbages et de fleurs rustiques auxquels M. Français sait donner tant de grâce nous semblaient avoir une parité de proportions plus complète dans son beau tableau de Daphnis et Chloé, une des meilleures productions du paysage de notre temps. Du reste, au Salon même, une simple étude : la Grand’Route à Combe-la-Ville, nous paraît un spécimen accompli du talent de M. Français. La fermeté du dessin, la plénitude des colorations, la justesse des plans, la touche précise et sûre et jusqu’à ces petits personnages, si vrais de mouvement et si bien campés qui rappellent les délicieuses figures dont Adrien Van Velde ornait avec une si intelligente prodigalité les paysages de ses confrères, tout dans cette étude est excellent, et permet d’affirmer une fois de plus la force et la jeunesse intacte du talent de M. Français.

Avec la disparition successive des grands noms qui avaient fait autrefois sa célébrité, un certain affaissement s’était produit dans notre école de paysage. Les maîtres heureux de la première heure, en prenant possession de la nature, avaient reproduit ses aspects les plus caractéristiques. Derrière ces initiateurs, la nouvelle génération montrait quelque timidité. Il ne lui restait que peu à découvrir; ses partis étaient forcément moins francs, ses moyens d’expression moins personnels et son exécution plus effacée. Mais comme ces jeunes gens aimaient leur art et que leur ardeur ne se démentait pas, leurs efforts devaient aboutir. Aujourd’hui il y a lieu d’être rassuré sur l’avenir de cette école. Si on n’y remarque plus ces différences tranchées qui existaient autrefois entre les talens, elle nous montre du moins encore, et cette année surtout, des œuvres qui lui font honneur.

M. Bernier est depuis longtemps fidèle à la Bretagne. Elle est devenue pour lui comme une patrie d’adoption et c’est parce qu’il a traduit exactement son caractère que le plus souvent elle a communiqué à ses tableaux ce charme mélancolique que conservent les pays restés un peu à l’écart. M. Bernier nous en a fait connaître tous les aspects : ses landes solitaires livrées sans dispute aux ajoncs et aux genêts, ses chemins ombreux, ses étangs, ses maigres cultures près de pauvres maisons, et cette Allée envahie par la verdure,