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offrit des sacrifices aux dieux ; les soldats se sentirent rassurés et reprirent avec confiance leur ordre de marche. Pourtant là encore nous soupçonnons des désertions assez nombreuses, qui contribueront à expliquer la diminution de l’armée d’Annibal quand elle fut enfin de l’autre côté des Alpes.

Elle remonta donc la vallée du Drac, laissant la Romanche sur sa gauche comme offrant moins de sécurité. Elle traversa ainsi le pays des Tricorii. M. Hennebert fixe au passage du Pont-Haut, vers le confluent de la Bonne et du Drac, l’endroit où Hannibal découvrit pour la première fois quelques indices de dispositions hostiles de la part des montagnards jusqu’alors inoffensifs. Ce passage aurait pu être facilement disputé. C’est là que les autorités de Grenoble songèrent quelque temps à arrêter Napoléon lors du retour de l’île d’Elbe. Mais ces démonstrations n’eurent pas de suite. Les alliés allobroges étaient encore là, et ils étaient habitués à se faire craindre. Mêmes velléités de résistance au Pas d’Aspre, sorte de couloir ou de porte de fer qu’on rencontre vers le confluent de la grande Severaise, même prompte dispersion des bandes indigènes. Mais bientôt, sur le haut Drac, l’escorte allobroge prit congé de ses alliés d’Afrique. Les Tricorii s’étaient joints aux farouches Katoriges et à des partis de Voconces dont on effleurait le territoire. Le moment était critique. Les Carthaginois arrivés sur le torrent d’Ancelle, affluent du Drac, devaient passer de là dans la vallée de la Panérasse, affluent de l’Avance, qui se jette elle-même dans la Durance. C’est par l’étroit passage de la Pioly qu’ils allaient s’engager. Mais il fallut s’arrêter. Les montagnards occupaient en force le défilé, ainsi que les positions qui en commandent les rampes, et s’opposaient hardiment au passage des étrangers.

Hannibal savait déjà que les Gaulois se laissaient aisément surprendre. Il apprit que chaque nuit les défenseurs du défilé quittaient leurs postes d’observation pour se retirer dans un oppidum ou refuge voisin, ne croyant pas qu’on osât s’aventurer dans les ténèbres sur un pareil chemin et revenaient au point du jour reprendre leur faction. Il dessina donc vers le soir une fausse attaque. Naturellement les Carthaginois ne forcèrent pas le passage et campèrent sur les lieux mêmes qu’ils avaient feint de vouloir quitter. Leurs adversaires, heureux de ce succès apparent, se retirèrent comme de coutume dans leur refuge. A minuit, à la tête d’un fort détachement de troupes légères, Hannibal s’empare du passage et des positions qui le dominent. Immédiatement le gros de l’armée reçoit l’ordre de se mettre en marche. A l’aube, les montagnards revenant en masse jettent des cris de fureur. L’armée étrangère défilait le long de la gorge. Ils ne veulent pas reconnaître le fait accompli et