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électeurs, la dépense n’était pas pour les effrayer. Toute élection dans un district populeux était une semaine de prodigalité, de débauche, d’ivrognerie, partant de querelles et de batailles. La loi permettait que les opérations électorales fussent continuées pendant plusieurs semaines, même pendant plusieurs mois. Aussi la carte à payer atteignait-elle un chiffre excessif. On cite une élection de 1807 où deux candidats dépensèrent 5 millions de francs. On ne dit point toutefois que le vote fût payé bien cher, A Hull, il était d’usage de remettre deux guinées à chaque électeur. À Honiton, lord Cochrane fit annoncer, après le vote, par le crieur de ville, que tout votant n’avait qu’à se présenter chez son banquier pour recevoir la somme de 10 livres 10 shellings. Mais si le fait était si peu dissimulé, comment se fait-il, pensera-t-on, que la chambre des communes n’en fût pas émue ? Électeurs et députés savaient prendre leurs précautions. L’argent n’était livré qu’au lendemain du délai fixé par la loi pour le dépôt des protestations. Le parlement ne demandait pas mieux que d’être trompé lui-même.

Dans les pays où la corruption est la source du pouvoir, il est naturel que le pouvoir soit la source de la fortune. La carrière politique devient une loterie où presque tout le monde gagne, où les gros lots surtout sont un gain splendide. Tout homme d’état anglais acquérait, la vie durant, la jouissance d’un ample revenu sur le budget de l’état ; il assurait, par le même moyen, l’avenir de ses enfans. En veut-on un exemple ? Le duc de Portland fut secrétaire d’état de l’intérieur avec William Pitt, ensuite premier ministre de 1807 à 1809. Son parent, lord William Bentinck, recevait 1,131 livres comme clerc de l’échiquier et 2,511 livres comme colonel de hussards ; son gendre, Charles Greville, 600 livres comme contrôleur de l’excise, 350 livres comme secrétaire de l’île de Tobago, 572 livres comme officier naval de la Trinité. Son petit-fils, Charles Greville, — dont les mémoires posthumes sur les règnes de George IV et de Guillaume IV ont eu un si grand succès, — 2,000 livres comme clerc du conseil et 3,000 comme secrétaire du gouvernement de la Jamaïque où il ne mit jamais le pied. Les sinécures prenaient toutes les formes, s’appelaient de tous les titres. Il y avait un lord gardien des cinq ports avec 3,000 livres par an ; un secrétaire en chef de la chambre des communes avec 12,000 livres ; un clerc des procès en Irlande recevait 10,000 livres, et l’usage lui permettait d’avoir un substitut doté d’un salaire de 7,000 livres dont, s’il faut en croire des gens autorisés, la perception était illégale. On gagnait 2,696 livres à être custos brevium. À une époque, il y eut quatre titulaires de cet office, une femme, un enfant, un fou ; le quatrième était un catholique, ce qui paraissait encore plus extraordinaire. C’était pourtant dans cette aristocratie bigarrée que