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« roches blanches, » ou de « défilés resserrés. » Dans quelle région des Alpes n’y a-t-il pas des escarpemens, des roches blanches et des défilés resserrés ? D’ailleurs nul ne peut dite les changemens que le temps, les eaux, les éboulemens, la végétation ont pu apporter, sinon aux lignes d’ensemble, du moins aux phénomènes de détail dans les itinéraires qui ont tour à tour capté les préférences des commentateurs.

Il est encore une méthode dont il faut se défier, parce que, sous son apparence rigoureuse, elle se prête docilement à toutes les théories. C’est celle qui consiste à préciser l’itinéraire de l’armée carthaginoise d’après le nombre de jours qu’elle mit à se rendre d’un point indiqué à un autre également nommé par les historiens. Ainsi, d’après Polybe, Hannibal a mis quatre jours pour se rendre de l’endroit où il a passé le Rhône à l’Ile de Gaule, dix jours pour gagner de là l’entrée proprement dite des Alpes, quinze jours pour franchir la chaîne. C’est fort bien, mais il ne faut pas en attendre grande lumière. Qu’est-ce au juste que l’entrée des Alpes ? et avec quelle facilité les partisans des divers systèmes, excepté pourtant ceux du Saint-Gothard et du Simplon, n’ont-ils pas marqué le compas à la main les étapes les plus divergentes !

Tâchons plutôt de trouver quelques points de repère en interrogeant les quelques noms de territoires traversés ou touchés par l’armée d’Hannibal et que nous pouvons glaner dans Polybe, Tite Live et Strabon. Silius Italiens, dans son poème des Guerres puniques, Ammien Marcellin dans son Histoire, confirment ou éclaircissent ces trop rares indications.

Ainsi nous apprenons qu’après être arrivé à l’Ile, c’est-à-dire au territoire allobroge formé par l’intersection de l’Isère et du Rhône, Hannibal longea la frontière des Voconces, puis traversa le pays des Tricorii, puis retrouva la limite des premiers, et enfin remonta la vallée de la Durance supérieure (ad Druentiam flumen pervenit, dit Tite Live), à l’extrémité de laquelle se trouvaient les cols menant chez les Taurini. De là il descend dans la vallée du Pô et vient campeIer aux abords du chef-lieu de cette peuplade. Il y a là les élémens d’une direction de route qu’on pourra déterminer de façon plus précise et qui se justifie déjà par des raisons stratégiques.

Par exemple, on peut remarquer la mention très positive de la haute Durance comme l’un des points les plus clairement désignés, et l’on peut se demander pourquoi Hannibal, une fois le Rhône traversé, ne s’est pas enfoncé tout de suite dans la vallée arrosée par cette impétueuse rivière ? La vallée de la Durance a bien des fois servi de lieu de concentration aux troupes destinées à agir en Italie. La raison en est qu’il risquait d’être attaqué en queue soit par les