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battue des vents, se redressait plus forte, plus vigoureuse, plus âpre au combat de l’existence, jusqu’à ce qu’enfin, par une belle et chaude journée de soleil, ouvrant son calice aux brutales caresses du rayon de lumière attendu si longtemps, elle s’épanouissait.

Et après ? Après, selon l’impitoyable logique des choses de ce monde, il ne lui reste plus qu’à mourir. La gradation qui va mener Emma Bovary du premier amant au second, et du second au suicide n’est pas moins savamment observée ni rendue. Le récit, jusqu’alors analytique et psychologique, devient insensiblement dramatique et, selon le mot à la mode, mouvementé. De toutes les indications jetées dans la première partie sortent des conséquences, des conséquences naturelles et fatales. Vainement elle essaie de se retenir sur la pente, le désir est trop fort, les circonstances trop puissantes, le milieu dans lequel elle s’agite est disproportionné plus que jamais à la violence de ses rêves. Vainement « à la place du bonheur » elle se figure « une félicité plus grande, au-dessus de tous les amours, un amour sans intermittence ni fin, et qui s’accroîtrait éternellement. » Vainement elle se débat contre l’affectueuse et naïve sottise de son mari, qui n’a rien vu, rien su, rien compris, et qui se fait un devoir de lui procurer comme des excitations nouvelles. Elle est prise au piège de ses propres illusions, et elle ira jusqu’au bout. Est-il un récit plus navrant que l’histoire de ses amours avec M. Léon, le clerc de Me Dubocage ? Il est plat, ce clerc, et s’il porte en lui « les débris d’un poète, » c’est de l’un de ces poètes qui furent jadis de l’école « du bon sens. » Il est « incapable d’héroïsme, faible, banal, plus mou qu’une femme, avare d’ailleurs et pusillanime. » Elle le sait, la malheureuse, et elle le sent, et tant d’autres raisons encore qu’elle aurait de « s’en détacher, » mais enfin tel qu’il est, c’est encore une idole qu’elle peut parer de tous les charmes, et si ce n’est pas « l’être fort et beau, » si ce n’est pas « le cœur de poète sous une forme d’ange » qu’elle continue toujours de rêver, — c’est un amant.

Il ne faudrait pas aller plus loin et il ne faudrait pas dire : c’est un homme. On a critiqué dans le temps l’empoisonnement de l’héroïne. On a prétendu qu’elle aurait dû finir dans le désordre galant et dans la débauche nocturne. C’est une erreur, à notre avis. Car c’aurait été ruiner toute la valeur psychologique du roman. Je ne parle pas de sa valeur dramatique. Devant un tribunal correctionnel, un avocat, dont le premier devoir était de laver son client du reproche d’outrage à la morale publique a bien pu soutenir, sans le démontrer d’ailleurs, que cette mort était l’expiation nécessaire et la revanche tragique du devoir trop longtemps insulté. En fait, et mise à part toute considération de ce genre, Emma Bovary ne pouvait pas, ne devait pas finir autrement. L’abaisser