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la Serbie, alors le seul état slave qui possédât un gouvernement représentatif. Dans la skoupchtina serbe, qui paraît avoir servi de modèle au Sieyès de Pétersbourg, un quart environ des membres sont également désignés par le gouvernement. Sur ce point l’originalité slave consisterait donc à réunir, dans une même assemblée, les élus de la nation et les délégués du gouvernement, à confondre dans une même enceinte deux élémens d’origine diverse ailleurs soigneusement séparés, à faire siéger et délibérer ensemble deux classes d’hommes d’ordinaire réparties en deux chambres différentes. En dépit du prétexte d’unité, quand les traditions slaves ou les souvenirs historiques lui seraient vraiment favorables, un tel amalgame serait sans doute aussi peu du goût des libéraux ou des démocrates russes que de leurs congénères bulgares. Par malheur, il est peu probable que les Russes soient consultés et que Moscou ait, comme Tirnovo, sa constituante.

Le projet de statut rédigé par la chancellerie russe pour les Bulgares mérite-t-il d’être regardé comme une sorte de ballon d’essai, comme un indice des vues ou des penchans de Saint-Pétersbourg en pareille matière? Cela reste vraisemblable, bien que les mécomptes de la Bulgarie et les attentats nihilistes aient pu depuis altérer singulièrement les dispositions du gouvernement russe. En tout cas, rien ne serait plus facile que d’appliquer à la Russie un tel procédé; il n’y aurait guère qu’à adjoindre au conseil de l’empire (gosoudartsvenny sovêt) avec quelques hauts dignitaires civils, militaires ou ecclésiastiques, des représentans élus de la nation, par exemple des délégués des états provinciaux (zemstvos). Il en sortirait une assemblée de nature mixte fort peu inquiétante pour le pouvoir, telle que celle recommandée aux Bulgares. On sait que dans les derniers mois on a plusieurs fois, à tort ou à raison, parlé de quelque mesure de ce genre.

Ce serait là du régime représentatif à petite dose, à dose homéopathique pour ainsi dire. Un pareil statut serait assurément quelque chose de neuf, quelque chose de russe et de national. Si peu que cela semble, cela seul serait un grand progrès pourvu qu’une telle assemblée eût pleine liberté de parole et pleine publicité. L’important, l’urgent aujourd’hui, c’est d’entrer dans une voie nouvelle; or une assemblée à demi bureaucratique du genre de celle offerte naguère aux Bulgares pourrait servir de transition et comme de pont entre le système autocratique actuel et un système vraiment constitutionnel, sauf plus tard, avec le progrès des mœurs et de l’éducation politique, à séparer les deux élémens ainsi confondus, à dédoubler une pareille assemblée, mettant dans une chambre les mandataires directs de la nation et dans l’autre les hauts dignitaires avec les membres désignés par la couronne.