Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/799

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du pays n’ont pas changé depuis le 23 février. » Cette politique, qu’il avait si résolument soutenue et à côté de Casimir Perier et à côté du duc de Broglie, comme une condition de sécurité, comme la sauvegarde de la révolution de juillet, le nouveau président du conseil continuait à la défendre sans embarras. Il saisissait un jour l’occasion que lui offrait le duc de Fitz-James pour retracer une fois de plus avec son ingénieuse abondance le système extérieur de 1830, pour exposer les éclatans avantages de l’alliance anglaise, et pour montrer comment avec la paix les rapports de la France s’amélioraient par degré. M. Thiers défendait et pratiquait cette politique. Cela lui était facile. D’abord, sans avoir vaincu toutes les défiances en Europe, la monarchie de juillet avait certainement reconquis de l’autorité dans les conseils du continent. Elle avait réussi assez pour que les jeunes fils du roi, le duc d’Orléans et le duc de Nemours, dans cette année 1836, ne craignissent pas d’entreprendre en Allemagne, particulièrement à Vienne, un voyage auquel se rattachait, disait-on, un projet de mariage du prince royal avec une archiduchesse. M. Thiers par lui-même d’ailleurs, comme président du conseil et ministre des affaires étrangères, avait une position aisée. Son esprit, son savoir, sa conversation animée et séduisante, son caractère facile et libre lui faisaient des amis. Il avait presque la faveur des cabinets étrangers, et les principaux représentans de la diplomatie à Paris se montraient empressés auprès de lui; il y prenait plaisir. Le jeune président du conseil était, il est vrai, dans les meilleures conditions pour suivre une politique dont il avouait tout haut le principe; mais en même temps il ne craignait pas de dire qu’il pouvait y avoir plus d’une manière de pratiquer cette politique. Il se plaisait à parler avec une vivacité mêlée de bonne grâce et de fierté dj cette révolution de juillet qu’il représentait, à laquelle la sagesse n’interdisait pas l’espérance. Il ne se défendait pas de toute velléité de hardiesse et d’action dans des circonstances favorables. En un mot, à l’extérieur et à l’intérieur, dans cette politique du 23 février, il y avait ce qui continuait le passé de la veille et ce que le génie entreprenant et souple de M. Thiers se sentait parfois assez tenté d’y ajouter, — ce qu’il y aurait ajouté sans doute, s’il n’eût été lié par le roi, par les nécessités de parlement.

C’était encore, si l’on veut, le 11 octobre, et ce n’était plus le 11 octobre. Il y avait eu un déplacement dont le caractère et les conséquences restaient incertaines. De loin, de Saint-Pétersbourg, où il représentait la France depuis peu de temps, un des esprits les plus judicieux, M. de Barante, écrivait à M. Guizot, son ami, dont il avait vu avec peine la retraite : « M. Thiers est homme de