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plus à l’aise. Il aimait la vivacité, la souplesse, la fertilité d’expédiens, l’humeur facile, l’impétuosité familière de son jeune ministre de l’intérieur, en qui il voyait presque son œuvre, qui du moins datait de 1830. Ce qu’il y avait de révolutionnaire en M. Thiers ne lui déplaisait pas à lui, qui se piquait par momens d’avoir la fibre de 1792, et qui ne laissait échapper aucune occasion de défendre la mémoire de son père.

Le roi et le ministre ne s’entendaient pas assurément sur tout, ils étaient même exposés à se heurter sur un point essentiel, sur le partage du pouvoir, sur les conditions du régime parlementaire, qu’ils ne comprenaient certes pas de la même manière. Ils avaient de curieuses ressemblances de caractère et, chose étrange, lorsque dans ses dernières années, après bien des révolutions, M. Thiers, chef de l’état, disputait si vivement son droit de présence à l’assemblée de Versailles, il semblait faire revivre Louis-Philippe aux premiers temps de son règne, quand ce prince se plaignait de n’être pas assez défendu, de ne pouvoir plaider personnellement sa cause : «Eh bien! lui disait M. Odilon Barrot, il ne vous reste qu’à venir vous-même à notre tribune débattre votre politique. Seulement, sire, je vous préviens que vous aurez seul la parole et que nous ne répondrons pas. » — Le roi Louis-Philippe, en 1835, se sentait attiré par des similitudes dénature, un peu par goût, un peu par calcul, vers celui de ses ministres qu’il croyait le plus facile et dont il espérait peut-être pouvoir plus aisément se servir. Il se flattait un peu vainement « de faire bon ménage » avec une jeune ambition, et autour du prince comme dans la chambre, les amis, les familiers ne manquaient pas pour créer à M. Thiers une sorte de candidature particulière à une plus haute fortune, ne fût-ce que pour se délivrer des doctrinaires, surtout de celui qui passait pour le plus incommode par sa fierté, le duc de Broglie.

Tout concourait au résultat inévitable, le cours des événemens, les diversités personnelles, la diplomatie du roi, et c’est ainsi que, par un ensemble de causes générales ou intimes, cette alliance de forces et de talent qui avait fait la puissance du 11 octobre était tout à coup ébranlée dans l’éclat apparent du succès. C’est ainsi que le jour où survenait à l’improviste un dernier incident, la situation tout entière était atteinte, la crise était complète, et le dénoûment se trouvait jusqu’à un certain point préparé par l’avènement possible de M. Thiers à la présidence d’un ministère renouvelé le 22 février 1836.


V.

Évidemment, elle était à peu près inévitable, cette crise née de toute une situation, d’un concours de circonstances singulièrement