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lois sur les crieurs publics, sur les associations, sur les dépôts d’armes de guerre, c’était le premier objet de cette politique du 11 octobre à laquelle M. Thiers s’associait par l’action et par la parole à côté du duc de Broglie et de M. Guizot. Les uns et les autres, faisant campagne ensemble, s’inspiraient de la même pensée : préserver l’ordre nouveau de tous les entraînemens et de tous les excès, fonder la vraie monarchie constitutionnelle, libérale et parlementaire que la révolution de 1789 avait dépassée en roulant dans les convulsions, que l’empire avait remplacée par le despotisme éphémère de la gloire et du génie, que la restauration n’avait réalisée qu’imparfaitement. M. Thiers, entre tous, livrait ses batailles pour cette monarchie, et il ne se bornait pas à la défendre de vive force quand il le fallait, il la défendait aussi par la raison, par l’éloquence, par l’esprit; il la défendait en marchant hardiment sur le mirage républicain, en s’armant de l’histoire, de l’expérience, de ce qu’il appelait les « exemples démonstratifs » du passé.


La république, dirait-il, a été essayée d’une manière concluante suivant nous. Ou nous objecte tous les jours: Ce n’est pas la république sanglante comme celle d’autrefois que nous voulons, nous la voulons paisible et modérée. Eh bien! on commet une erreur grave quand on dit que l’expérience n’a pas porté sur deux points. Il y a eu une république sanglante pendant un an; mais pendant huit ou neuf ans c’était une république qui avait l’intention d’être modérée qui a été essayée par des hommes honnêtes, capables. Sous le directoire, c’étaient des hommes comme La Réveillère-Lepeaux, Barthélémy, Rewbell, Sieyès, Carnot, hommes modérés, honnêtes, qui voulaient, non pas la république de sang, mais la république paisible. La victoire n’a pas manqué à ces hommes : ils ont eu les plus belles victoires, Rivoli, Castiglione et mille autres. La paix ne leur a pas manqué non plus... Cependant en quelques années le désordre était partout. Ces hommes d’état étaient honnêtes, et cependant le trésor était livré au pillage. Personne n’obéissait, les généraux les plus modestes, les plus probes, Championnat, Joubert, refusaient d’obéir aux ordres du gouvernement. C’était un mépris, un chaos universel. Il a fallu que des généraux vinssent renverser ce gouvernement, passez-moi l’expression, à coups de pied... Ainsi, dans ces dix ans, il s’est fait en France une expérience concluante sous les deux rapports. On a eu, non-seulement la république sanglante, mais la république clémente, qui voulait être modérée et qui n’est arrivée qu’au mépris. Aussi la France, quand on lui parle de république, recule épouvantée; elle sait que ce gouvernement tourne au sang ou à l’imbécillité.