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ou la dictature à Paris, la liberté menacée, la prospérité du pays perdue, la révolution de juillet compromise, qu’avec la paix au contraire, l’influence française pouvait bien plus sûrement s’étendre et rayonner entre les Pyrénées et le Rhin. Notez cependant ici un trait caractéristique. M. Thiers, en combattant les passions belliqueuses, ne laissait pas de garder la blessure de 1815 et je ne sais quelle espérance de grandeur nationale dont il ajournait la réalisation; il réservait l’avenir en parlant de la paix. Lorsque s’élevait enfin une question qui touchait à l’organisation définitive du régime de juillet, la question de la constitution de la pairie, M. Thiers était de ceux qui, s’élevant au-dessus des préjugés de parti, allant même plus loin que n’osait aller le gouvernement, ne craignaient pas de se prononcer pour l’hérédité. Chose curieuse! c’étaient trois bourgeois de tradition, de race, d’esprit, Royer-Collard, M. Guizot, M. Thiers, qui se faisaient les puissans défenseurs de la nécessité d’une pairie héréditaire dans l’intérêt même des libertés constitutionnelles, et M. Thiers n’était ni le moins hardi ni le moins éloquent; avec ses discours sur l’hérédité de la pairie, sur les affaires extérieures, sur les affaires intérieures, sur le budget, M. Thiers s’était fait son rôle de leader de parlement.

Toutes ces discussions qui remplissaient cette orageuse année de 1831-1832, qui se déroulaient au milieu des émotions publiques et des troubles des rues, au bruit de l’entrée d’une armée française en Belgique ou de la défaite douloureusement retentissante de la Pologne, ces discussions avaient un mérite : elles aguerrissaient pour ainsi dire les institutions nouvelles, elles ralliaient autour d’un drapeau conservateur fièrement porté une majorité d’abord vacillante, elles formaient des hommes pour la lutte, pour le conseil, pour la défense et même pour l’attaque contre les factions. Ce qui n’apparaissait au 13 mars 1831 que comme la tentative presque aventureuse d’un homme animé d’une noble passion, se jetant sans illusion dans le combat, était devenu rapidement une œuvre collective ralliant « non-seulement des intérêts, mais des dévoûmens, » et des intelligences. Casimir Perler, en moins de quinze mois de pouvoir, avait créé une situation, une tradition, et c’est ainsi que le jour où il disparaissait brusquement, enlevé par le choléra, — 16 mai 1832, — la politique qu’il avait inaugurée avait pris assez d’ascendant pour lui survivre. Elle avait certes plus d’une bataille à livrer encore; elle était assez forte pour vaincre la formidable insurrection républicaine qui ensanglantait Paris les 5 et 6 juin, qui ressemblait à un effort désespéré pour profiter de l’éclipsé soudaine du grand adversaire des séditions. Le ministre avait disparu, la politique survivait tout entière par l’impulsion qu’elle avait