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uniquement personnelle. Casimir Perler avait le mérite d’être un chef fait pour exercer le commandement et pour porter sans faiblir toutes les responsabilités; il avait aussi l’avantage d’arriver au pouvoir à l’heure voulue, d’être en quelque sorte l’homme de la situation. Il sentait qu’il répondait à un instinct public devenu promptement son complice, à un immense besoin d’ordre et de paix. En allant le premier au combat, il n’était pas seul; il avait des appuis ou des alliés dans le prince dont il servait la cause, dans la bourgeoisie dont il représentait les intérêts, dans une élite d’hommes anciens ou nouveaux intéressés au succès du régime de 1830.

Le roi, il est vrai, avait accepté Casimir Perier des circonstances plus qu’il ne l’avait recherché. Assez jaloux déjà d’imprimer à la politique son caractère personnel et d’être son propre premier ministre, il ne subissait pas sans humeur et sans impatience l’ascendant d’un homme qui de son côté tenait à toutes les réalités et même à toutes les apparences du pouvoir; mais il sentait le prix du dévoûment d’un si grand serviteur et, sans l’aimer, il le soutenait, il lui prêtait dans les luttes de tous les jours le prestige et la force de la royauté. Au dehors, M. de Talleyrand, habilement choisi pour représenter la diplomatie du nouveau régime à Londres, accréditait la politique de la paix par l’éclat de son nom européen, par son expérience, par son tact de négociateur dans les affaires de Belgique ou d’Italie, par sa dextérité à préparer une alliance avec l’Angleterre. Il fortifiait le régime, il tortillait aussi le ministre dont il se plaisait à relever l’importance par ses mots flatteurs, et au sujet duquel Palmerston écrivait à lord Granville : « Profitez d’une occasion pour dire au roi jusqu’à quel point l’entente avec les deux pays dépend du respect et de la confiance que nous inspire le caractère de Casimir Perier, et combien sa nomination comme président du conseil a contribué à la paix de l’Europe... » A l’intérieur, Casimir Perier avait la fortune de trouver partout, autour de lui, des hommes jeunes, orateurs puissans ou habiles, qui, sans appartenir au ministère, librement, spontanément, s’associaient à sa politique, la défendaient, la commentaient et pour elle ne craignaient pas de se jeter dans toutes les mêlées. C’était, autour du chef, une légion d’hommes s’engageant pour la cause commune, pour la révolution de 1830, et c’est ici que M. Thiers commençait à prendre position, à se dessiner comme un des jeunes capitaines de la campagne de résistance à tous les déchaînemens.

Séparé de M. Laffitte au moment décisif, à la veille de l’avènement de Casimir Perier, M. Thiers était un simple député, résolu