Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/770

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

déceptions qui se sont accumulées, l’impuissance des plus habiles efforts, on peut dire sans doute, on a souvent dit qu’il suffisait pour la France de « ressaisir ses libertés sans renverser son gouvernement, » et qu’aller au-delà c’était se rejeter fatalement dans les aventures, préparer des ruines nouvelles. Au moment du combat, on n’avait pas le temps de tout calculer et d’interroger l’avenir; on était entraîné par le torrent des événemens. Ce qui eût été possible le premier jour ne l’était plus après le sang versé, lorsque le drapeau tricolore avait reparu et flottait déjà sur les Tuileries. Le roi Charles X avait joué sa couronne, il avait perdu la terrible partie pour lui et pour sa famille : le règne des Bourbons aînés était fini ! — Une minorité ne pouvait être qu’un expédient inefficace. Il n’y avait plus désormais, on le croyait, — on avait, si l’on veut, cette illusion, — il n’y avait plus d’autre dénoûment qu’une monarchie libérale et nationale sortant de l’ardente fournaise pour couvrir la France tout à la fois contre les retours du passé et contre l’anarchie qui menaçait de prendre le nom de république. Le duc d’Orléans était visiblement le chef désigné, non comme régent, mais comme roi, de cet ordre nouveau destiné à dissiper les derniers fantômes d’ancien régime, à rassurer la France moderne dans ses instincts, à réaliser par un vrai gouvernement constitutionnel ce qu’il y avait de plus légitime dans la révolution continuée par l’empire.

Tout était fait presque aussitôt que conçu, entre le 30 juillet et le 9 août, en bien moins de temps que Guillaume III n’en avait mis pour aller de Torbay à Londres. Seulement il ne suffisait pas d’improviser dans le feu du combat une révolution dynastique, de substituer par un vote de parlement un souverain élu à toute une race royale acheminée sur Cherbourg. Avant que le 1688 français se dégageât avec tout son caractère, avant même que la question de l’existence définitive ou de la direction du régime nouveau fût nettement décidée, plus de six mois devaient s’écouler : six mois d’émotions publiques, d’incohérences, de contradictions, d’oscillations, d’enfantement laborieux et périlleux!


I.

C’était une grande expérience qui commençait, l’expérience d’une monarchie rationnelle et libre à fonder sous le coup d’une révolution, entre les ressentimens des vaincus et les emportemens de quelques-uns des vainqueurs, en présence d’une Europe profondément et diversement remuée par les événemens de France. Cette monarchie d’élection, elle avait à tenir tête dès sa naissance à des