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Royer-Collard parlait en homme qui cherchait avec inquiétude l’avenir dans le passé, qui ne voyait que les difficultés, les crises redoutables à travers lesquelles un soldat de génie s’était fait un empire en France et un stathouder de Hollande s’était fait une royauté en Angleterre. Recommencer ces événemens lui semblait impossible. Il ne soupçonnait pas qu’il n’y avait désormais pour conquérir une couronne ni à revenir d’Italie et d’Egypte comme Napoléon, ni à descendre à la tête d’une armée dans une petite anse inconnue d’Angleterre comme Guillaume III, — qu’un combat de quelques heures pouvait supprimer tout à coup la distance entre le Palais-Royal et les Tuileries. C’est ce qui venait d’arriver par cette révolution de trois jours qui envoyait en exil une vieille dynastie, faisait sortir du sol embrasé une royauté populaire, ouvrait pour la France une ère nouvelle, — et qui, après avoir paru réussir, à dix-huit années de distance, devait disparaître à son tour, laissant dans l’histoire un mécompte de plus, un problème bien souvent agité. Cette révolution, que Royer-Collard croyait la veille impossible et qui était relativement si facile, cette révolution presque instantanée, tant le dénoûment suivait de près l’explosion, a-t-elle été en définitive un bienfait, et d’abord était-elle nécessaire? Portait-elle en elle-même, comme toutes les révolutions qui l’ont précédée et qui l’ont suivie, comme tous les régimes qui se sont succédé en France depuis près d’un siècle, sa mystérieuse et irrésistible fatalité ?

Rien n’est plus facile sans doute que de faire après coup ce qu’on pourrait appeler le roman de l’histoire, de tracer aux événemens le cours qu’ils auraient dû. suivre, de leur fixer la limite qu’ils auraient dû ou qu’ils auraient pu ne pas franchir. Une seule chose est certaine : la révolution de 1830 avait, entre toutes les révolutions, cette fortune rare d’être légitime dans son origine, dans son principe. La provocation était éclatante; le signal du conflit avait été donné par l’autorité royale. Il y avait, selon le mot de M. Thiers, coup d’état flagrant, violation de la charte, attentat du pouvoir contre le droit. La résistance avait pour elle la loi, l’opinion, tous les sentimens libéraux. La révolution de juillet était un acte de défense, c’est son originalité historique. Après cela, n’eût-il pas mieux valu que cette révolution provoquée par un coup d’état restât exclusivement une victoire sur le coup d’état, en d’autres termes qu’elle s’arrêtât à la limite de la défense nécessaire? N’eût-il pas mieux valu pour le pays, pour les institutions libres, que l’hérédité de la monarchie fût respectée, que la crise se dénouât par le règne d’un héritier du trône encore enfant avec la régence d’un prince populaire? C’est possible. A voir tout ce qui est arrivé depuis, les