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Il se passa même, au rapport de Tite Live, un incident assez curieux dans cette période préparatoire où, des deux côtés, on usait de diplomatie avant d’en venir aux armes. Rome, avertie par Marseille, avait envoyé des agens auprès des Gaulois du midi pour les mettre en garde contre les Carthaginois et leur persuader qu’ils devaient leur barrer le passage. Il y eut chez les Volques, en présence des envoyés romains, un grand conseil auquel prirent part, selon la coutume gauloise, tous les guerriers venus tout armés. Et lorsque les envoyés eurent, avec toute la gravité romaine, tâché d’imposer à leurs auditeurs en leur parlant en termes superbes de la gloire et de la puissance du peuple romain, lorsqu’ils eurent conclu en leur demandant de s’opposer par la force aux Carthaginois s’ils s’avisaient de traverser leur territoire pour porter la guerre en Italie, la seule réponse qu’ils obtinrent tout d’abord, ce fut un éclat de rire retentissant, formidable, tonitruant, un vrai rire gaulois, que les anciens, les personnages sérieux, eurent toutes les peines du monde à calmer. Nos Gaulois n’avaient été sensibles qu’au ridicule de la proposition. Comment ! quand ils n’avaient aucun grief réel contre Carthage, quant au contraire ils en avaient d’anciens, et même de récens, contre Rome, ils iraient faire de leurs corps un rempart à l’Italie ! Il n’y avait que des Romains pour avoir de semblables idées ! C’est seulement quand ce rire gaulois eut pris fin que les anciens traduisirent aux Romains, en termes polis, le sentiment qui l’avait fait éclater. Les envoyés romains partirent persuadés que l’on ne pouvait, dans cette région, compter que sur Marseille; que les Gaulois, sans être précisément enthousiastes d’Hannibal, étaient gagnés par ses largesses; que toutefois ils pourraient bien changer d’avis par la suite.

C’est précisément ce qu’Hannibal craignait aussi. Ses émissaires, à lui, tout en lui rapportant de bonnes nouvelles touchant les dispositions des principaux chefs gaulois, n’avaient pu lui garantir leur constance et Hannibal se défiait de leur mobilité d’esprit. Nous pouvons toutefois déduire de la suite du récit, — et le commandant Hennebert le fait ressortir très judicieusement, — qu’il y eut des cantons gaulois où d’avance Hannibal se concilia des amitiés solides et les utilisa pour s’assurer de bonnes et sûres étapes.

Nous verrons de plus que son plan n’était pas de franchir les monts sur le point le plus rapproché de la chaîne alpestre, mais, une fois le Rhône passé, de remonter vers le nord pour se frayer un passage par une voie quelconque où il n’aurait à craindre ni les intrigues ni les armes des Marseillais, aidés peut-être par quelques légions romaines. Il savait de plus que les Gaulois cisalpins n’attendaient que le moment de s’insurger contre les Romains. En effet,