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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 mai 1880.

Le plus grand mal en politique n’est pas qu’il y ait un jour ou l’autre, au courant de la vie d’une nation, des fautes de gouvernement, des erreurs de conduite, des troubles ou des inexpériences de parlement, même des incidens violens ou des conflits imprévus. Tous les gouvernemens commettent des fautes, les plus anciens parlemens ont leurs confusions et leurs orages, les sociétés les mieux organisées, les plus régulières ne sont pas à l’abri des agitations ou des divisions. Le mal le plus grand, c’est que fautes, erreurs, troubles ou incidens tiennent à une situation systématiquement pervertie, procèdent de la même cause, d’un égarement ou d’un fanatisme d’esprit, d’une idée fausse qui domine tout et entraîne à toutes les déviations. C’est là malheureusement qu’on en vient de plus en plus aujourd’hui, et si on ne le voit pas, si on ne se rend pas compte du chemin qu’on fait d’heure en heure, des périls qu’on suscite ou des impossibilités qu’on accumule, c’est qu’on a des yeux pour ne pas voir, une intelligence pour ne pas comprendre la différence entre ce qui fait les régimes réguliers, honorables, et ce qui fait les régimes sans fixité et sans avenir.

Certainement s’il y avait eu depuis quelque temps pour gouverner et représenter la république des hommes sensés, clairvoyans au lieu de politiques de parti et de secte, ils auraient vu qu’une fortune unique, presque inespérée, venait de leur échoir. Ils auraient compris que, pour la première fois, à la suite de désastres dont elle n’était pas responsable, la république avait cette chance singulière de pouvoir s’établir sans violence, sans effraction, sans triompher par l’émeute, sans s’imposer par la force révolutionnaire ; ils auraient saisi aussitôt tout ce qu’il y avait d’avantages et de garanties dans cette inauguration laborieuse, patiente, s’accomplissant par le mouvement irrésistible des choses, par le vote régulier d’une assemblée souveraine, même un peu avec le con-