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Louis Schneider était plus royaliste que le roi, et personne n’était le meilleure foi que lui; cet honnête homme n’a jamais affecté des opinions qu’il n’avait pas, mais il savait se servir de celles qu’il avait. Au mois de mai 1848, quand Berlin était en proie à la fièvre révolutionnaire, il trouva l’occasion de proclamer courageusement ses principes dans une réunion publique. Cela fit esclandre, son audace lui valut deux formidables charivaris et plus tard, à Hambourg, une tempête de sifflets, à laquelle il opposa un front d’airain. Quelques jours après il avait quitté définitivement le théâtre, et il se trouvait à pied; mais, à quelques mois de là, comme la vertu est quelquefois récompensée, il était devenu lecteur du roi Frédéric-Guillaume IV, ce qui prouve que le cardinal avait raison et que les extrêmes ont quelque chose de consolatif.

Frédéric-Guillaume IV ne tarda pas à prendre en grande amitié son lecteur. Il déclarait que ses plus chères délices, seine grösste Wonne, étaient d’entendre lire Schneider, et il est permis de croire que Schneider lisait fort bien. Tour à tour il lisait les vers des autres ou sa prose à lui, des historiettes, des récits humoristiques, des descriptions sentimentales qu’il composait pour la circonstance. La faveur dont il jouissait lui suscita des envieux et causait surtout un sensible déplaisir à Alexandre de Humboldt. C’était un terrible homme que Humboldt; il y avait en lui des dessous dangereux, son apparente bonhomie était fourrée d’impitoyable malice. Quand il faisait patte de velours, la griffe était là, prête à sortir; c’était le roi des égratigneurs. Ajoutons qu’il aimait à s’écouter, et qu’on l’écoutât, et qu’il n’y en eût que pour lui. Plus d’une fois Frédéric-Guillaume IV l’interrompit au milieu d’une histoire en lui disant : « Vous nous direz le reste un autre jour; Schneider a quelque chose à nous lire. « Il s’en vengeait en écrivant au poète Tieck : — « Nos plus chères délices (nous en avons tâté aujourd’hui encore) sont le pitoyable pathos et les facéties dramatico-historiques du patriotique et militaire comédien Schneider. Cet homme me fera mourir; votre solitude vous sauve. » Le jour même où il accommodait si bien Schneider en écrivant à Tieck, il avait accommodé Tieck de toutes pièces en causant affectueusement avec Schneider. L’auteur du Cosmos était coutumier du fait.

Les Mémoires de Schneider sont le journal d’un amour-propre heureux. Il y énumère avec une infatigable complaisance toutes les marques de distinction qui lui furent octroyées et il cherche à nous communiquer toute la joie qu’il en ressentit. Il nous apprend que, le 15 octobre 1850, il fut nommé conseiller de cour, que, le 5 juin 1856, l’impératrice douairière de Russie, qui se trouvait en visite à Berlin, daigna le charger de pousser sa chaise roulante et de mettre un coussin sous ses pieds, que le 9 décembre de l’année précédente, le roi l’avait