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de Rome furent poliment éconduits par Hannibal quand ils vinrent le sommer de renoncer à cette conquête. Le sénat de Carthage, invité à désavouer Hannibal et à le livrer aux Romains, refusa après une délibération orageuse. Il ne lui eût pas été facile, quand même il l’eût voulu, d’arracher un jeune général victorieux à une armée dont il était adoré. De plus, la popularité des Barcas, toujours très grande à Carthage, s’était accrue du prestige de la victoire et de l’immense butin qu’Hannibal, connaissant bien son pays, avait dirigé sur sa ville natale. Les envoyés romains revinrent sans avoir rien obtenu. C’était la guerre. Des deux côtés on s’y prépara avec ardeur.

Sagonte emportée, Hannibal revint prendre ses quartiers à Carthagène (Carthago Nova). Il avait une magnifique année, nombreuse, aguerrie, disciplinée. De Carthaginois proprement dits, il n’y avait guère que les officiers supérieurs et un corps peu nombreux, mais d’élite. On sait que les Carthaginois, excellens marins, avaient peu de goût pour la guerre de terre. Mais les élémens de son armée de mercenaires étaient excellens. Elle se composait d’Espagnols, sobres, patiens, durs à la fatigue, de Gaulois recrutés un peu partout, portant à la guerre cet entrain et cette valeur brillante qui caractérisaient leur nation, de Libyens agiles et poussant jusqu’à l’ivresse la fureur du combat, de cavaliers numides qui montaient à nu des chevaux aux jarrets d’acier. Il avait de plus une belle division d’éléphant. Le tout se montait à quatre-vingt-dix mille hommes d’infanterie et douze mille cavaliers.

Telle était l’armée qu’il conçut l’audacieux projet de transporter en Italie, jusque sous les murs de Rome, à travers la Gaule et les Alpes, en passant par des contrées, des fleuves, des montagnes presque aussi mal connus que peuvent l’être de nos jours les régions comprises entre le Sénégal et le Congo. Trois points surtout sont à relever et, s’il se peut, à préciser dans cette expédition : la marche à travers la Gaule des Pyrénées jusqu’au Rhône, le passage de ce fleuve et la traversée des Alpes. Nous les étudierons successivement.


II.

Nous avons exposé, dans une étude générale des guerres puniques[1], les raisons qui déterminèrent Hannibal à préférer la voie de terre à celle de mer pour aller attaquer les Romains en

  1. Voyez la Revue du 15 janvier 1879.