Toujours ingénieux, il s’était proposé en 1835 pour donner gratis des leçons de russe à l’école militaire. Le ministre de la guerre aurait voulu l’en récompenser en le décorant ; le roi fit la sourde oreille. Peu auparavant Schneider lui avait fait hommage de petits récits qu’il avait composés sous le titre de Schauspielernovellen pour réhabiliter la profession du comédien, et qui sont assurément ce qui ! y a de mieux dans son bagage littéraire. Il avait représenté dans l’une de ses nouvelles Talma comblé d’honnêtetés et de caresses par Napoléon et profitant des bonnes dispositions où il voyait son terrible maître pour lui demander le ruban rouge, sur quoi l’empereur lui tournait le dos, en disant : Nein ! Adieu, Talma. Schneider espérait bien qu’o i ne le prendrait pas au mot. Quelques jours après, comme il arpentait le salon bleu, le roi, qui parlait, comme on sait, un langage bref, incohérent et haché, l’interpella en ces termes : — « M’avez envoyé votre dernier livre… Quelque chose là dedans m’a beaucoup plu, surtout Talma !… Connaissance très juste des situations… Ne va pas toujours comme on veut ; me réjouis de ce que vous l’avez compris… Situation très bien peinte, très bien appréciée, surtout Talma !… Lirai aussi les autres. » Malgré sa déception, Schneider n’en demeura pas moins attaché à « l’inoubliable Frédéric-Guillaume III. » Il se vante même d’avoir obtenu de lui une dernière marque d’attention dont il aima toujours à se souvenir. C’était le 10 mai 1840, peu de temps avant la mort du roi, qui était déjà gravement malade. Schneider jouait à l’opéra, dans un intermède intitulé les Hamadryades, le rôle bouffon du dieu Borée. Il descendait brusquement de la frise à l’aide d’une machine qui, après l’avoir lancé au-delà de la rampe, le ramenait au milieu du théâtre. Ce soir-là, par suite d’un changement de décoration, il se présenta du côté où on ne l’attendait pas, et le roi, qui était seul dans sa loge avec la princesse de Liegnitz, sourit en le voyant paraître. « J’ai eu son dernier sourire », nous dit Schneider, et il paraît croire que ce fut un sourire d’étonnement et d’admiration. Il se pourrait aussi qu’en ce moment le roi se fût souvenu d’un entretien qu’il avait eu avec lui dans le salon bleu et qu’il se fût dit: « Quelque chose là dedans me plaît beaucoup… Me réjouis de n’avoir pas donné l’aigle rouge à un homme volant. » Il est bon qu’il y ait des hommes volans mais les préjugés ont aussi leur raison.
Schneider finit par avoir l’aigle rouge. En attendant, ce qui le consolait, c’est qu’un jour l’empereur Nicolas l’avait presque embrassé. On l’avait fait venir à Kalisch pour y donner des représentations avec quelques-uns des premiers sujets du théâtre de Berlin. Ce fut là qu’il eut. la joie de contempler pour la première fois, par le trou du rideau, celui qu’il appelait « le plus bel homme qu’il fût possible de voir, l’idéal de la beauté humaine. » Il lui fut présenté pendant une répétition. — « Je suis charmé, Schneider, défaire votre connaissance, lui dit l’empereur. J’ai déjà entendu parler de vous. À ce qu’il paraît, vous êtes un demi-soldat.