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à éclater. Tout cela est exprimé largement, simplement, d’un dessin un peu farouche, mais d’une couleur superbe dans la pauvreté voulue de ses harmonies. Il faut un tempérament singulièrement fin et puissant pour tirer de ces tons de suie, de houille et de boue des accens aussi délicats, aussi plaintifs, aussi forts; pour donner aux chairs cette pâleur, à la lumière cette vérité; pour trouver dans cette disette de colorations une gamme de valeurs et de modulations indéfiniment variées qui part du blanc aigu pour aller jusqu’au noir entier et profond. Que si vous vouliez, par le plus extrême contraste, apprécier chez M. Roll la valeur du coloriste, retournez-vous pour regarder, ne fût-ce qu’un moment, la grande bataille de M. Matejko, — un artiste de grande habileté cependant et qui a fait ses preuves, — et vous comprendrez, par un exemple trop significatif pour que nous insistions, ce que peuvent pour anéantir une œuvre les intempérances mal réglées des couleurs et le conflit de ces sonorités à outrance qui hurlent d’être ensemble et offensent votre sensibilité. L’unité harmonique, au contraire, est complète dans la Grèce, c’est elle qui donne à cette image son principal mérite et sa cruauté. M. Roll d’ailleurs n’a pas appuyé et il a su résister à la tentation de vous présenter une thèse. Il a préféré faire un tableau et il y a mis assez de talent pour n’avoir pas besoin de vous presser et pour vous abandonner à vos réflexions sans vous imposer les siennes. Si importun qu’il soit, c’est là un document avec lequel il faut compter et qu’il n’était peut-être pas inutile de mettre sous nos yeux.

Il y a bien des contrastes dans une civilisation aussi complexe que la nôtre, et, rapproché de la Grève, le Bal public de M. J. Béraud nous les fait toucher du doigt. C’est un document aussi et très fidèle, dit-on. De fait, il porte en lui même un caractère évident de vraisemblance, le talent du peintre assurant ici le crédit de son témoignage. Est-ce bien là un lieu de plaisir et s’y amuse-t-on? Nous voyons du moins comme on s’y tient, avec quel sans-gêne on s’y aborde, comme on s’y prend, comme on y danse. C’est un monde à part où nous fait pénétrer M. Béraud en ajoutant une page de plus à la consciencieuse enquête que, depuis quelque temp-, il poursuit à tous les étages de la société parisienne. Cette page-là ne fera pas grand honneur à notre époque. Avec l’adresse spirituelle et l’habileté de son fin pinceau, M. Béraud est arrivé à caractériser en quelques traits tous ses petits personnages et à les mettre dans l’atmosphère qui leur est propre. On ne saurait dire que les types des habituées de ce bal public brillent par l’élégance, ni que ces cheveux embrouillés tombant sur des figures falotes ajoutent un grand piquant à leur beauté. Pour ce qui est de la distinction des manières, elle ne va pas jusqu’à la politesse, et quant à la