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et de s’attacher des soldats qui se seraient fait hacher pour lui plaire. Il étendit l’empire carthaginois en Espagne par les négociations au moins autant que par les armes. Quand il mourut, il avait légué le secret de sa politique, la profondeur de ses haines à son gendre Hasdrubal et surtout à son fils Hannibal. Celui-ci avait, comme son père, le patriotisme ardent, le coup d’œil prompt, la décision rapide, la vélocité des mouvemens, et peut-être plus encore qu’Hasdrubal la hauteur des vues et le génie politique. Comme lui, il possédait au suprême degré l’art de se faire aimer.

Le moment approchait où le duel entre les deux grandes cités allait recommencer. Les Romains avaient fini par s’inquiéter des progrès de la domination carthaginoise en Espagne. On le voyait bien aux efforts qu’ils faisaient pour prendre pied, eux aussi, dans la péninsule. Ils avaient accordé leur alliance à la ville de Sagonte, qui n’aimait pas les Carthaginois et qui crut, sous l’égide d’une telle protection, pouvoir les braver. Le traité de 228, conclu entre Carthage et Rome, désignait l’Èbre comme la limite extrême des possessions carthaginoises en Espagne et interdisait aux années de chacune des deux cités l’agression des nations alliées de l’autre. Hannibal, qui voyait venir la guerre, n’hésita pas à attaquer Sagonte en 219. Cette ville commerçante et prospère était fière de ses traditions, qui faisaient d’elle un foyer d’opposition à Carthage. Située non loin de la mer, dans une position très forte, elle se prétendait à la fois grecque et italiote par ses origines. Une colonie grecque de Zacinthe, à laquelle s’adjoignirent plus tard des Rotules venus d’Ardée, en était, disait-on, la fondatrice première. Laisser les Romains s’y établir, c’était leur abandonner un avant-poste formidable qui leur eût permis de menacer constamment les possessions carthaginoises et de mettre à profit la première occasion favorable pour expulser d’Espagne les Africains. Hannibal, pour assiéger Sagonte, saisit le prétexte des différends qui avaient surgi entre elle et une peuplade voisine protégée par Carthage. Il s’ensuivit un des sièges les plus célèbres de l’histoire ancienne. Les Espagnols firent preuve de cet acharnement dans la défense dont ils ont donné depuis tant d’exemples. Le siège de Saragosse en 1809 forme le pendant héroïquement exact de celui de Sagonte l’an 219 avant notre ère. Sagonte enfin succomba. Son agonie fut tragique au plus haut degré. Les Sagontins mirent eux-mêmes le feu à leur ville et beaucoup d’entre eux se jetèrent dans les flammes pour ne pas subir la loi du vainqueur. La protection de Rome, sur laquelle ils comptaient, ne leur avait donc servi de rien. Aux représentations des Romains il fut répondu que Sagonte n’était pas encore leur alliée lorsqu’on avait conclu le traité de 228. Les envoyés