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doux qui détache de la branche les feuilles déjà plus rares, ce soleil impuissant à percer les nuées, mais dont les clartés sont répandues dans l’espace, ces buées légères qui flottent au pied du coteau, cette caressante moiteur dont la jeune fille est comme enveloppée, et jusqu’à cette allure monotone et cadencée du petit troupeau qui chemine, tous ces traits épars s’ajoutent et achèvent bientôt de vous captiver, parce que, derrière cet art qui semble si ingénu, si candide, il y a une pensée sincère, active, émue, qui s’adresse à la vôtre et trouve en elle son écho.

Combien vont chercher au loin des impressions que, dans ses humbles coins, la bonne nature réserve à ses fidèles ! S’il fallait mieux qu’une œuvre pour le prouver, M. Breton nous apporterait ici l’exemple d’une vie tout entière passée dans ce modeste pays de Courtières qui lui doit sa célébrité. Ce que vaut la pensée pour le travail de l’artiste et ce que vaut le recueillement pour la pensée, le nom seul de M. Breton suffit à vous le dire. Dans ces vastes plaines où d’autres ne trouveraient qu’ennui, dans ces types dont aucun touriste n’a vanté la grâce, il a découvert des trésors de poésie. S’il lui est arrivé quelquefois de quitter son village, bien vite il y est revenu, ayant à cœur de nous montrer par des inspirations toujours plus hautes l’affection qu’il lui gardait. Familier de ces campagnes, il ne s’est point blasé sur leur voisinage. Tout lui en paraît beau, et qu’il tienne en main la plume ou le pinceau, il veut nous faire partager son admiration. Après un commerce si long, si assidu, il sait quelle noblesse inconsciente les travaux des champs peuvent communiquer à ceux qui s’y livrent. Aussi n’a-t-il jamais vu dans cette loi du travail une condamnation qui entraîne forcément pour l’humanité la déchéance ou la laideur. Pour lui, c’est la question même de notre existence ; si elle a ses difficultés, elle peut aussi apporter ses compensations et ses relèvemens. Sa conviction, M. Breton nous l’exprime par la dignité sans pose et la grâce sans mièvrerie de toutes ces filles des champs qu’il nous a montrées à l’œuvre, ou se reposant de leur tâche accomplie, puisant l’eau à la fontaine, ou bien rapportant sur leurs épaules la charge lentement amassée des épis qu’elles ont glanés. Leur teint est hâlé, leur visage sérieux ; la vie n’est pas toujours facile et la pauvreté de leur costume le montre assez. Derrière elles, l’Artois déroule ses grandes plaines dont les chaumes de quelque village à demi caché dans sa ceinture de vergers rompent parfois la monotonie. Mais le plus souvent les champs s’étendent à perte de vue sous le ciel infini. Toutes les saisons, toutes les heures sont bonnes à l’artiste, mais il aime surtout ces instans fugitifs et charmant où, avec le jour qui décline, les sensations physiques devenues d’une ténuité extrême