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bienveillante. Vous jureriez volontiers que la vie de cette jeune fille est active, bien employée et qu’elle partage les goûts intelligens du milieu auquel M. Fantin-Latour emprunte d’ordinaire ses modèles. Vous regrettez presque qu’il n’ait point mis à côté d’elle, comme il l’a fait souvent pour eux, la fleur favorite, le carton de dessin, la partition ou le livre préféré, car vous aimeriez à être renseigné sur ses goûts, à savoir qu’elle n’est étrangère à aucune culture. C’est ainsi que, pour avoir dépassé les aspects sommaires, répudié les procédés trop expéditifs, l’artiste a sollicité notre esprit et qu’il nous a intéressés à des existences inconnues, mais profondément humaines, faites par conséquent pour nous toucher. Et quant à ceux qui ne demandent aux arts que des distractions d’un moment, s’ils passent indifférens ou s’ils restent peu sensibles à l’expression de sentimens d’une si bourgeoise honnêteté, laissez-les passer, laissez-les dire, mais croyez qu’il n’est pas inutile que ces vertus, toutes bourgeoises qu’elles puissent être, soient ainsi représentées par des peintres de ce talent. Ces images qui dureront après eux montreront ce qu’étaient beaucoup de foyers honnêtes dans un temps qu’on a trop souvent calomnié.

Malgré la place que nous venons d’accorder aux portraits, — place assez justifiée par l’importance que ce genre a dans notre école et la richesse exceptionnelle qu’il présente au Salon de cette année, — nous ne pouvons clore cette trop incomplète revue sans citer du moins encore des noms et des œuvres qui mériteraient mieux qu’une courte et sèche énumération : le portrait de M. le duc de B. par Mlle Jacquemart, d’une expression si vivante et si spirituellement caractérisée ; ceux de MM. Paul Bert et Henri Martin par M. Yvon, qui n’a jamais peint aussi bien; le fin portrait de M. Andrieux par M. Bastien-Lepage; celui de M. Lepère par M. Feyen-Perrin, un des meilleurs ouvrages de l’artiste; celui d’un général russe par M. Harlamof; celui de Mme de W. par M. Sain, enfin celui du général de Galliffet par M. Becker, tout à fait remarquable par la finesse du dessin, le force du relief et la franchise de l’exécution. Malheureusement la pose de matamore que le peintre a donnée à son modèle empêche de rendre justice à ces qualités très réelles; on dirait un spadassin s’apprêtant à dégainer. La bravoure d’un général, à l’heure présente surtout, gagne à être moins démonstrative et l’honneur du commandement suppose une énergie plus calme et une volonté mieux contenue.


III.

Nous n’accepterons que comme une étude cette figure au-dessous de laquelle M. J.-P. Laurens a mis le nom d’Honorius, ce qui était son droit, précédé, — ce qui est plus grave, — de cette grosse