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s’obstinait à l’œuvre qu’il voulait terminer. Ces nuées qui enveloppent la blanche vision, il les peignait d’une main défaillante que la mort allait bientôt glacer. L’œuvre est restée inachevée. Touchante par elle-même, elle emprunte à la destinée du jeune peintre une tristesse plus pénétrante et plus poétique encore.


II.

Le nombre depuis longtemps inquiétant des portraits va toujours croissant d’un Salon à l’autre. Il y en a beaucoup de bons, il y en a même d’excellens cette année. M. Carolus Duran reste un des maîtres incontestés du genre. Il est le peintre désigné de toutes les élégances, et grandes dames ou souverains s’inscrivent à l’envi chez lui. Comme coloriste, il a les dons les plus rares : l’éclat et la délicatesse, et, quant au dessinateur, on trouverait difficilement à reprendre à la correction de ses mises en place, à la sûreté de ses vives indications. Mieux que personne, il sait faire vibrer un ton, le montrer dans ses magnificences ou ses finesses, l’enrichir par les plus heureux voisinages. Son exécution anime et complète tant de ressources naturelles ou acquises, elle respire un entrain de si bon aloi, un tel plaisir de peindre, qu’elle communique aux ouvrages de M. Carolus Duran le souffle même de la vie, ce quelque chose de spontané, de libre, de naturel qu’il est si malaisé de conserver dans les créations de l’art. Même en y appliquant la pensée, on se rend difficilement compte des phases diverses par lesquelles son travail a passé, et la succession de ces opérations préparatoires, qui chez tant d’autres demeure apparente, semble ne pas exister pour lui. Vous diriez que son œuvre a été menée d’ensemble ou plutôt qu’elle est née ainsi tout d’un coup. Ces qualités, l’à-propos, la verve habituelle du peintre, vous les retrouverez dans le Portrait de Mme G. P. En pied et debout, la dame, — une tête fine et blonde, des yeux bleus, une bouche mignonne et vermeille, — est vêtue d’une robe de satin dont les revers, d’une nuance plus pâle, adoucissent le bleu très éclatant. Le rouge sombre de là tenture et le rouge très franc du tapis qui recouvre la table forment avec ces bleus un contraste hardi, mais justifié par un parfait accord. La pose est simple, naturelle, et toutes ces sonorités qui s’exaltent non-seulement s’harmonisent entre elles, mais laissent aux notes douces des carnations leur entière fraîcheur. Le parti est encore plus audacieux et l’éclat plus triomphant dans le Portrait de M. Louis B., un garçonnet que M. Carolus Duran nous montre dans ce costume ambigu que les exigences suprêmes de la mode imposent aux bambins de cet âge, sans grand souci de la grâce de leur démarche ni de la liberté de leurs mouvemens. Avec