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force qui animeraient un peu cette exécution. On s’en veut de rester aussi froid en présence d’une aussi scrupuleuse correction. M. Bouguereau est impeccable; il faut l’accepter comme il est. Pour une fois qu’il a voulu sortir de ses voies ordinaires, l’aventure ne lui pas réussi. Ce Christ qui se tord d’un mouvement si excessif et si inutile oublie un peu trop qu’il devrait à l’élégante distinction de son visage de nous épargner cette pose violente et mélodramatique» Les sujets moyens, les notes douces conviennent mieux au talent de M. Bouguereau ; mais qu’il cherche à plaire ou à émouvoir, on ne doit pas compter avec lui sur des tentations trop vives ni sur des émotions trop poignantes. Ses nymphes ou ses néréides n’auront jamais rien à voir avec les déportemens et les ardeurs sauvages des amours mythologiques. Ce sont personnes bien élevées, modestes, quoi qu’elles en aient; et, quant à cette Jeune fille se défendant contre l’Amour, bien qu’elle y mette quelque mollesse, vous entendez assez que ce n’est là pour elle qu’un badinage décent dont sa famille n’a pas lieu d’être inquiète.

M. Gustave Moreau est un chercheur, et on ne saurait l’accuser d’indifférence pour son art. Nul ne se montre plus que lui inquiet, soucieux de donner à ce qu’il fait une signification neuve et personnelle. Mais son désir d’échapper à la vulgarité l’a conduit à d’étranges raffinemens. Certes, l’idée de mettre en regard d’Hélène toutes les victimes causées par sa beauté était une idée acceptable ; à condition toutefois de lui trouver une expression picturale. C’était tout d’abord prendre l’engagement de nous présenter dans sa splendeur cette beauté « égale à celle des déesses, » objet d’une telle admiration que les vieillards troyens eux-mêmes en oubliaient presque les maux que leur ville endurait pour elle. L’Hélène de M. Moreau n’est que riche. Elle ne justifie guère l’hécatombe de guerriers, de princesses et de rois amoncelés à ses pieds, tous reluisant, comme elle, de l’or et des pierres précieuses qui ornent leurs boucliers, leurs casques, leurs coiffures, leurs bras et leurs jambes. La mer elle-même roule des flots d’émeraude, et dans un ciel d’opale les grenats et les turquoises lancent leurs feux combinés. Et pourtant, quelles que soient ces magnificences, la Galatée de M. Moreau nous étale de bien autres richesses. Ici les scintillations de la joaillerie s’augmentent de la collection complète des efflorescences marines : coquilles, algues, coraux, madrépores, tout cela minutieusement détaillé, chatoyant, ciselé. Pas une forme qui soit simple, pas un ton qui ne soit irisé. C’est un écrin dans un aquarium. On oublie en face de cette bijouterie que M. Moreau sait dessiner, ses croquis en font foi cependant. On se demande aussi comment il peindrait dans leur sainte nudité les êtres humains ou divins qu’il a voulu nous représenter. On lui serait reconnaissant