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Il y a plus d’élégance et quelque charme dans la figure du Printemps: une jeune fille à robe blanche très heureusement ajustée, qui serre sur sa poitrine un de ces jolis cyclamens roses dont foisonnent en mars les gazons des villas romaines. Il faut de l’abandon, une imagination plus jeune et une main plus légère en ces sortes de sujets, et Mme Demont-Breton nous le fait bien voir avec sa Petite Source et surtout avec cette autre fillette, Fleurs d’avril, une tête blonde et joyeuse, un petit corps ferme et bondissant, vraie image du printemps qui rit sur ses lèvres roses, en même temps qu’il ranime autour d’elle toutes les verdures et fait fleurir tous les buissons.

Nous n’oserions dire qu’en peignant Phèdre consumée par son fatal amour, M. Cabanel nous ait donné une de ces images définitives sur lesquelles, de longtemps, il serait dangereux de revenir. Et cependant, par delà Racine, il a voulu remonter jusqu’à Euripide pour nous montrer, dans son déchaînement sans mesure, la violence de cette passion aussi funeste à celle qui y cède qu’à celui qui y résiste. Sans doute il y a dans la sombre expression du visage de Phèdre et dans la fixité de son regard quelque chose de l’inertie inconsciente d’un être butté contre une pensée unique et désormais incapable de se reprendre. Mais c’est la seule poésie que M. Cabanel ait empruntée à Euripide. A défaut des éloquences de la couleur, à défaut du pathétique que devait suggérer une pareille donnée, nous pouvions espérer, du moins, ce goût sévère, ce choix et cette pureté de formes qu’évoquent forcément aussi les souvenirs de l’art antique. M. Cabanel nous offre une peinture indécise et lâchée qui ne saurait faire illusion sur le manque de style de sa composition. « L’art de peindre est peut-être plus indiscret qu’aucun autre, » a dit excellemment Fromentin. L’absence de modelé dans le torse de Phèdre, les molles et peu séantes indications de sa poitrine, le dessin incorrect de la main qu’elle laisse pendre, trahissent trop clairement ici l’indifférence de l’artiste pour son œuvre, et quand, nous essayons de nous dédommager de ces négligences avec le portrait qu’a également exposé M. Cabanel, nous y trouvons malheureusement, avec une couleur encore plus effacée, des négligences au moins pareilles.

Ces défaillances, nous n’aurons pas aies relever chez M. Bouguereau. Sa facture constamment égale, consciencieuse, honnêtement suivie, facile cependant, ne promet jamais plus qu’elle ne peut tenir. Il faut bien rendre justice à de telles qualités, car elles ne sont point si communes, et pourtant, fût-ce au prix de quelques erreurs, on se prend à souhaiter des allures moins régulières et moins prévues, quelques-unes de ces charmantes hésitations qu’on remarque chez les plus grands, des contrastes ou des coups de