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des couronnes pour les plus habiles, pendant que les mères de famille retirent du four rustique les pains fumans qui vont être distribués entre tous. Ce pays d’ailleurs est bien cultivé, et l’horizon qui s’ouvre à l’infini sous les yeux de ces heureuses populations n’a pour elles que des perspectives rassurantes. Des cours d’eau traversent ces plaines et facilitent leurs relations. La pêche, la chasse, leur offrent une distraction en même temps qu’elles pourvoient à leur nourriture. Leur costume et leurs habitations sont simples, leurs industries élémentaires. Mais tout cela suffit à leurs besoins, et, dans leur existence modeste, il y a place pour toutes les affections comme pour les occupations les plus nobles. Chez elles, la vieillesse est respectée, et ceux que l’âge empêche de se mêler à la lutte jugent les coups et partagent les caresses des petits enfans. Tout ce monde est uni, actif, utile et bienfaisant à autrui. Quelle atmosphère heureuse et pure ! Quel idéal de calme et de sérénité ! Qu’il fait bon reposer son esprit et ses yeux sur ces douces images, oublier un instant avec elles les agitations de notre vie fiévreuse et troublée, l’amertume de nos doutes et de nos luttes, les misères qui nous entourent, celle? même dont les mieux partagés ne sont pas exempts ! Rassurez-vous d’ailleurs : vous pouvez vous abandonner à cette communicative éloquence et vous n’avez pas à vous défendre contre l’expansion qu’elle provoque en vous. Il n’y a rien là qui sente la rhétorique. Aucune trace de cette faconde banale, routinière, tout extérieure, qui n’a sur l’âme aucune prise puisqu’elle n’y peut éveiller aucun écho. Pas de raffinemens non plus, ni rien qui exige le commentaire: l’œuvre se suffit. C’est un peintre qui s’adresse à vous, avec les seules ressources de son art. Il les atténue volontairement et se contente des moyens les plus clairs et les plus naïfs. Si vous doutiez de leur efficacité, voyez ce qu’ils gagnent à être employés dans les grands espaces et comme le génie de l’artiste, en se déployant librement sur les vastes murailles du Panthéon, s’y dépouille des étrangetés qu’il montre lorsqu’on veut le réduire aux petites toiles et aux tableaux de chevalet! Là où les autres s’épuisent en vains efforts, ou en exagérations ridicules, il se meut à l’aise et dans la plénitude de ses farces. Alors avec cette sobriété extrême qui lui est personnelle, il a des trésors de grâce et des merveilles d’invention. Il possède le secret de rajeunir tout ce qu’il touche, et les sentimens les plus vieux, les allégories les plus élémentaires, lui sont les meilleures occasions de prouver son originalité. Il se met tout entier à ce qu’il fait; il épouse ses sujets. Il a une façon à lui de les comprendre et de les rendre. Les grandes lignes de ses compositions, la répartition des groupes, l’ordonnance de leur silhouette et les liens qui les rattachent entre eux dérivent des convenances mêmes de ces sujets.