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toutes langues. Il y a trop de digressions qui font parfois penser à ces petits romans que les écrivains de l’école espagnole aimaient à intercaler dans leur roman principal et qu’on était toujours tenté de sauter. Ajoutons que l’honorable commandant a une idée arrêtée qui n’est pas toujours sans danger au point de vue des conclusions historiques. Il croit avoir découvert qu’il existe des affinités mystérieuses entre les Kabyles, ou Berbères, ou Amaziren de l’Algérie et les plus anciennes populations établies en Espagne et en Gaule. Nous ne voulons rien nier d’avance. Le Kabyle est certainement notre parent à un degré bien plus rapproché que l’Arabe ou le Maure. Mais de là à voir en lui un cousin germain, il y a loin, et si nous n’avions pour estimer le degré de parenté que les rapprochemens fantaisistes et les étymologies décidément trop complaisantes de notre savant commandant, nous serions fort tenté de reléguer ce cousinage dans un lointain si brumeux qu’on n’y distingne plus rien,

D’autre part, il faut reconnaître la supériorité que le savoir militaire technique peut conférer à un biographe quand il s’agit, de faire l’histoire d’un homme tel qu’Hannibal. Il est des difficultés que nous ne saurions jamais résoudre avec les seules lumières de l’érudition, et qu’un militaire de profession tranche immédiatement par des raisons péremptoires. En définitive, bien que le matériel de guerre ait singulièrement changé de forme, le problème du transport d’une armée à travers un pays de hautes montagnes et au milieu de populations mal disposées n’a pas essentiellement changé de nature. Les hommes de l’antiquité ne se nourrissaient pas plus de l’air du temps que ceux d’aujourd’hui. La cavalerie était relativement aussi nombreuse que de nos jours, et ses chevaux non moins gênans sur les sentiers escarpés. A défaut de canons, les anciens avaient des balistes, des béliers, des machines fort lourdes et qu’il fallait traîner partout avec soi. Quand on sait bien les exigences d’une expédition où le succès dépend de la rapidité des mouvemens, on sait aussi beaucoup mieux qu’un savant de cabinet suppléer à l’insuffisance des textes par la comparaison des lieux.

Nous avons à consulter deux sources principales pour rétablir l’itinéraire suivi par Hannibal, c’est Polybe et Tite Live. Les autres historiens ou poètes latins ne peuvent tout au plus fournir que des détails accessoires; aucun ne saurait pour le fond être mis sur la même ligne. Depuis longtemps, on s’accorde, non sans raison, à décerner la supériorité au récit de Polybe. En effet, Polybe est beaucoup plus historien, au vrai sens du mot, que Tite Live avec son goût du merveilleux, son chauvinisme romain, ses manies oratoires.