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aux contributions existantes. La propriété qui est aujourd’hui assujettie à 100 francs d’impôt paierait 800 francs; celle qui est imposée à 1,000 francs le serait désormais à 8,000 !

L’auteur de la proposition prétend que le propriétaire des fonds recouvrerait sur le consommateur l’excédent d’impôt qu’il aurait à supporter, en vendant sa récolte plus cher; mais il oublie que le blé, le vin, la laine, le bétail seraient en concurrence sur les marchés français, comme sur les marchés étrangers, avec les produits de même nature venant des autres pays qui ne sont pas grevés de taxes aussi lourdes ; que par suite les produits français seraient soumis au cours commun. Ils ne pourraient même pas être protégés sur les marchés français par des droits de douane, puisque tous les impôts indirects seraient abolis. C’est donc le propriétaire du sol français qui supporterait l’excédent de l’impôt. Si actuellement il paie de 9 à 10 pour 100 de son revenu, sans parler des cotes exceptionnellement surchargées, par suite des inégalités des répartitions, il serait désormais imposé à 70 ou à 80 pour 100 et jusqu’à 120 pour 100 de son revenu réel, si des inégalités dans le taux d’imposition subsistaient. Quand même le produit net serait un peu augmenté par l’effet de la diminution des salaires des ouvriers agricoles, ce qui est douteux, un impôt aussi considérable, même en tenant compte de la suppression des taxes générales, devrait encore être considéré comme l’équivalent de la confiscation de la propriété au profit du fisc,

La propriété immobilière serait en réalité improductive et sans valeur. Le capital disparaîtrait absorbé par la taxe, et la taxe elle-même dont le capital serait la base ne pourrait bientôt plus se percevoir. La propriété foncière serait ruinée. L’état se trouverait bientôt en présence de charges énormes, sans ressources pour y faire face ! Étant donnée la situation financière de la France, l’impôt unique sur le capital est une conception absolument chimérique. L’impôt unique sur les revenus serait un peu moins insuffisant, car sa base serait plus large : il frapperait outre les revenus fonciers, les profits du commerce, de l’industrie, de l’agriculture et des professions, les traitemens et les salaires; mais il n’en serait pas moins lui-même inacceptable, car les impôts directs seuls ne peuvent pas produire les ressources nécessaires pour faire face à des charges publiques qui s’élèvent à près de 3 milliards 300 millions !

L’impôt unique de M. Menier n’est que la résurrection, sous un autre nom et avec peu de modifications, de la vieille doctrine des physiocrates, déjà bien des fois condamnée, et dont l’influence a été si funeste aux finances françaises, à une autre époque. Elle n’a pourtant jamais été appliquée aussi complètement qu’on le propose