Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/628

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la suzeraineté sur l’église et à un pouvoir autre que spirituel; telle est au moins la pensée dominante qui se dégage des actes et des négociations de George Podiebrad. Saint-René Taillandier avoue sa prédilection pour les conceptions du roi George Podiebrad et il y voit comme le plan d’un catholicisme supérieur où chaque nation constituerait son église selon le penchant de son génie et le caractère de ses traditions, et où toutes ces églises nationales seraient reliées à un centre spirituel commun, catholicisme qui offrirait ainsi le spectacle de la variété la plus magnifique dans l’unité la moins despotique. Certes le rêve est beau et digne d’admiration, il nous semble néanmoins que l’amour de la liberté religieuse a fait pencher un peu trop les sympathies de Saint-René Taillandier du côté des églises nationales. Les églises nationales ont de grands avantages que nous sommes tout prêt à reconnaître, mais ces avantages très considérables pour l’indépendance politique et la sécurité extérieure le sont beaucoup moins pour la liberté intérieure et entraînent presque nécessairement la perte de la liberté religieuse. Voit-on que la tolérance et la charité spirituelle aient eu beaucoup à se louer de ces églises partout où. elles ont été établies? Il y a eu une église nationale à Genève, il a fallu pour lui arracher la liberté religieuse l’avènement du radicalisme; il y a une église nationale en Angleterre, il a fallu lui arracher presque par violence les droits des dissidens. Il y a une église nationale en Suède, Saint-René Taillandier a raconté de quels excès d’intolérance elle était capable; quant à l’église luthérienne d’Allemagne, la petite ville de Neuwied, fondée au dernier siècle sur les bords du Rhin dans les états d’un principicule ami de la tolérance et peuplée des sectaires de toute dénomination que les persécutions orthodoxes chassaient de tous les pays allemands, témoigne encore aujourd’hui de ce qu’elle savait faire autrefois. Il est vrai qu’on peut répondre que toutes les églises que nous venons de citer ont été fondées par le protestantisme, c’est-à-dire séparées violemment de l’unité chrétienne et armées en conséquence contre les retours offensifs possibles de la puissance vaincue, tandis que le rêve des hussites et de Podiebrad supposant un centre commun, les effets des églises nationales dans un pareil système seraient tout à l’opposé des effets produits par les églises issues du protestantisme. Nous n’en disconvenons pas, et nous ne demandons pas mieux que de croire en la réalisation de ce catholicisme supérieur. S’il est en Europe de nobles âmes que tourmente l’héroïsme religieux, on peut leur proposer cette entreprise comme une tâche digne de leurs efforts. Le moment, semble-t-il, serait propice au possible ; on ne peut espérer un centre catholique mieux ramené à sa mission spirituelle, ou désirer chez les peuples des dispositions plus favorables à la nouveauté.