Page:Revue des Deux Mondes - 1880 - tome 39.djvu/623

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

travaux de Saint-René Taillandier. Quand elle n’en est pas le centre, elle en reste le point de départ, et même lorsqu’il s’occupe de la comtesse d’Albany et du maréchal de Saxe, il ne s’en éloigne qu’à demi. Quelque sujet qu’il traite, il y touche toujours par quelque endroit. Éprouve-t-il par exemple le désir de s’occuper de ces folies morales qui ont joué un si grand rôle dans l’histoire littéraire de notre temps, c’est l’Allemagne qui fournira à son analyse les cas de maladie et les types de malades. Carl Immermann et la comtesse d’Ahlefeldt, Charlotte et Henri Stieglitz, Henri de Kleist, tels sont les héros d’un intéressant volume intitulé Drames et Romans de la vie littéraire, petit livre d’une lecture navrante et qui laisse cependant sans émotion, tant ces exaltations qu’il décrit sont celles d’âmes montées à froid, tant ces tragédies désespérées sentent le sophisme. Voulait-il, au contraire, montrer la nature humaine saine, noble, généreuse, la Correspondance de Goethe et de Schiller, qu’il traduisait et commentait, lui en fournissait le plus mâle et le plus magnifique exemple. C’est encore l’Allemagne qui est au point de départ de ses travaux sur les peuples slave et magyar, tant parce qu’elle a été pour lui l’initiatrice véritable dans cet ordre de recherches que par la préoccupation politique qu’elle lui donnait pour notre avenir. La question des nationalités, qui a joué un rôle si considérable sous le second empire, n’a pas eu d’observateur plus attentif, et, au moins pour ce qui regardait les peuples de l’orient de l’Europe, plus sympathique. Ce n’était pas la crainte de l’Allemagne seule qui était au fond de cette vigilance et de cette sympathie ; il y avait un autre grand empire dont il redoutait pour la liberté de l’Europe l’esprit d’envahissement à l’égal de la menaçante unité allemande. Son livre Allemagne et Russie, composé à l’époque de la guerre de Crimée, contenait déjà, nous l’avons vu, plus d’une lumineuse indication à cet égard ; ses études sur la Bohême, la Hongrie et la Serbie, écrites à la veille et au lendemain de Sadowa, continuent en l’agrandissant cette œuvre d’éclaireur politique. Contre l’avenir soit d’esclavage, soit d’insignifiance politique, que ferait inévitablement à l’Europe soit la rivalité, soit l’amitié de ces deux grands empires d’Allemagne et de Russie, — greniers à peuples réservés pour l’exportation conquérante encore plus qu’empires, — d’où pourrait venir le secours? Selon Saint-René Taillandier, il ne pouvait être que dans les populations associées de longue date à l’Allemagne et à la Russie sans s’être jamais confondues ni avec l’une ni avec l’autre. Plein de cette pensée, il interrogeait tour à tour chacune de ces populations pour reconnaître lesquelles contenaient les élémens véritables d’une nationalité, et sur lesquelles on pourrait fonder l’espoir d’une résistance sérieuse. Entre ces