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ne représenta notre nation avec une ressemblance plus étroite que cet étranger issu d’une voluptueuse Suédoise et d’un Sardanapale allemand. Il est un Français de tous les temps par l’entrain militaire, la rapidité d’action, la gaîté courageuse, la dissipation imprudente, le fonds d’humanité persistant à travers toutes les fureurs et toutes les sévérités nécessaires du métier militaire, et il est un Français da XVIIIe siècle par la liberté de son esprit, l’incorrection de ses mœurs, son insouciance de toute croyance religieuse, sa détestable orthographe, — restée injustement proverbiale, car elle n’était guère plus mauvaise que celle de nombre de ses contemporains illustres, — et son style excellent dans son genre, tout de mouvement et d’allure, allant droit au but de la pensée sans plus de souci des barbarismes qu’un bon cheval des fossés et des fondrières. Français du XVIIIe siècle, il l’est d’une manière bien plus intime et plus singulière encore par une certaine préoccupation inquiète de l’avenir et un je ne sais quoi de démocratique qui marque toutes ses pensées. La figure humaine la plus simple est encore fort compliquée; celle de Maurice n’est pas pour démentir cette observation, que chacun a pu faire si souvent au cours de ses études. Considéré d’ensemble et dans sa vie d’action, ce personnage est la franchise même, mais approchez-vous, et dans ce fondu si parfait que vous présentait la perspective vous découvrirez, non sans étonnement, nombre de nuances en contraste avec le ton dominant du portrait. Il en est une cependant que nos yeux se refusent à reconnaître. Plusieurs fois Saint-René Taillandier a prononcé le mot d’aventurier à propos de Maurice; il nous est impossible d’accepter la justesse et la justice de cette qualification. En dépit de l’élection de Courlande et de ce rêve de royauté qui le poursuivit toute sa vie, Maurice n’eut jamais rien de cette âpreté de convoitises, de ces ambitions déréglées et de ces ressentimens à outrance qui font les véritables aventuriers, les Wallenstein et les pachas de Bonneval. Il faut élargir singulièrement la catégorie des aventuriers si Maurice doit y être rangé, car il est tel homme illustre à qui ce terme n’a jamais été appliqué et à qui il conviendrait cependant infiniment mieux qu’au fils d’Aurore de Kœnigsmarck, le prince Eugène par exemple. À ce substantif malsonnant substituons un adjectif de même famille; au lieu de dire aventurier, disons qu’il eut l’esprit, le caractère aventureux, et nous nous éloignerons beaucoup moins de la juste et précise nuance.

Maurice de Saxe marque le point tournant de notre moderne histoire militaire. Il appartient au passé, dont il est la suprême expression, et il annonce vaguement l’avenir; c’est un de ces grands jets de flamme qu’ont les feux qui vont s’éteindre, et c’est une