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pièces par des récits qui comblent les intervalles qui les séparent. Imprimé sous le titre de Dix Ans de l’histoire d’Allemagne. — Origines du nouvel empire, ce travail, un des derniers de Saint-René Taillandier, en est aussi un des plus instructifs en bien des sens; l’intérêt en est multiple, et le psychologue y trouve son compte aussi bien que l’historien. Frédéric-Guillaume IV a été passionnément accusé de chimères d’esprit et d’irrésolution de caractère. Ce jugement reste vrai en grande partie, mais dans quelle mesure doit-il être accepté, voilà ce qu’il était difficile de fixer avant que la publication de cette correspondance eût découvert les mobiles intimes auxquels obéissait la conscience du roi. Prenons, par exemple, ce refus de la couronne impériale qui l’a rendu un certain temps l’objet des railleries de toute l’Europe et qui faisait bondir d’indignation jusqu’à son ami Bunsen lui-même. Peut-être ce jour-là manqua-t-il de résolution, mais il ne manqua pas de perspicacité pratique. Il vit très bien que l’œuvre à laquelle on le conviait à s’associer ne serait jamais solide ainsi fondée, et il refusa autant par terreur de la compromettre que par horreur de la révolution qu’il exécrait de toute la puissance de son âme et dont l’offre lui apparaissait comme une sorte de grandiose contrefaçon du 20 juin 1792 avec la couronne impériale remplaçant le bonnet rouge de Louis XVI. Cet embarras du roi entre l’Allemagne dont il ne voulait pas déserter la cause, et la révolution dont il ne voulait accepter les services à aucun prix avait été deviné depuis longtemps; voici des raisons plus particulières et que la correspondance avec le baron de Bunsen permet parfaitement de démêler. D’abord une raison de race et de vieil aristocrate. Cette mission qu’on le pressait d’accomplir, c’était une cause nationale, mais c’était aussi une ambition de famille. Cette cause, depuis Frédéric II, la maison royale de Prusse se l’était identifiée, et il était importun à Frédéric-Guillaume IV que ce fussent des gens du dehors qui vinssent lui rappeler qu’il devait veiller sur son bien ou lui offrir comme un présent une chose qu’il regardait comme lui appartenant par héritage. Un jour de ces orageuses années, un député de la droite, alors fort inconnu et répondant au nom d’Otto von Bismarck, se leva au parlement de Berlin pour déclarer qu’il ne voulait pas que son roi fût le vassal de M. Simon de Trêves. Saint-René Taillandier trouvait alors le sentiment touchant et l’argumentation médiocre; c’était pourtant à peu près une argumentation de même sorte que faisait dans l’intimité le roi de Prusse. Une autre raison de nature analogue, c’est que l’acceptation des offres de Francfort établirait entre les deux couronnes une contradiction dont un souverain athée pouvait bien ne pas se soucier, mais à laquelle un souverain qui se piquait comme lui de principes chrétiens