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qui finit par le disperser. Enfin voilà la constitution faite, l’unité voté, il ne reste plus qu’à nommer le chef de l’état, tâche facile en apparence, puisque, l’assemblée ayant déclaré que, le gouvernement était monarchique, il n’y a en présence que deux candidats sérieux, dont un condamné d’avance. Le parlement offre donc la couronne au roi de Prusse, lequel s’empresse de la refuser en exprimant le peu de confiance que lui inspirent la révolution et ses présens, tandis que l’empereur d’Autriche, ralliant autour de lui tous les gouvernemens allemands, fait signifier au parlement qu’il n’a pas mission pour faire un souverain et qu’il ne reconnaît pas la validité de sa constitution. Devant ce refus et cette injonction, l’unité s’évanouit comme une fumée. Alors ces députés naguères si pleins d’exigences, maintenant si déconfits, obligés de s’avouer qu’ils n’ont rien fait et qu’ils n’ont plus qu’à partir, sortent un à un de la salle des séances, bouclent leurs malles et regagnent leurs foyers, tandis qu’un petit nombre ridiculement opiniâtres vont essayer de s’établir à Stuttgart et de s’y déclarer en permanence. Ce parlement qui comptait tant d’hommes éminens, finit comme un conciliabule d’aventuriers éconduits, dont les uns se retirent en silence et la tête basse, et dont les autres sont jetés par les épaules hors des portes auxquelles ils se cramponnent. Jamais ambitions plus exaltées n’eurent plus piteuse fin, et cependant, arrivé au terme de son long récit, notre historien n’a pas le courage de maltraiter trop durement cette assemblée, car il prévoit qu’en dépit de toutes ses mauvaises chances, son œuvre n’aura pas été stérile. Hélas ! non, elle n’a pas été stérile. Il est trop certain que tout ce que cette assemblée a voulu a été réalisé, même ce qu’on appelait ses chimères, même ce qu’on appelait ses brutalités. Annexion du Schleswig et du Holstein, unité allemande, empire fédéral avec la Prusse au sommet, oui, tout cela a été accompli, mais non par les mains du parti libéral, et ce n’est pas la liberté qui en a profité.

Dans ces études sur la révolution en Allemagne, Saint-René Taillandier s’est montré, à mainte reprise, très sévère pour le souverain qui occupait alors le trône de Prusse. Il n’a pas craint, par exemple, de donner son approbation au pamphlet où le docteur Strauss comparait ce souverain à Julien l’Apostat, et cette sévérité parut alors excessive à certains esprits, très libéraux d’ailleurs. Saint-René Taillandier en jugea lui-même ainsi, et vingt ans plus tard, lorsque la correspondance de Frédéric-Guillaume IV avec le baron de Bunsen fut mise au jour, il y trouva une occasion de revenir sur cet ancien jugement et n’hésita pas à l’adoucir. Nos lecteurs se souviennent assurément de l’heureux parti que notre ami a su tirer de cette correspondance, qu’il a traduite presque en entier, en l’entourant de commentaires et en en reliant les différentes